Anémone – Chapitre 1
Seigneur faites qu’il y ait deux barres, je vous en supplie faites qu’il y ait deux barres. Je ferme les yeux, respire un grand coup comme si j’allais effectuer le saut de la mort puis je jette un coup d’œil au résultat.
Merde! Ce n’est pas possible! Je me laisse glisser le long du mur des toilettes. J’essuie du revers de ma main les larmes qui viennent de s’écraser sur mes joues. Elles devaient être des larmes de joie, un torrent qui annonçait le début de la moisson, le début de ma vie de femme, de ma vie de mère. Mais ce n’était pas le cas. Elles étaient des larmes de rage, de colère, d’impuissance, de tristesse face à cette énième tentative échouée. J’ai perdu un enfant avant de l’avoir conçu. Avez-vous déjà ressenti pareille frustration? Je ne la souhaite à personne. Je suis enceinte, il doit avoir une erreur. Demain, j’irai acheter un autre test et s’il est encore négatif j’irai voir mon gynécologue.
***
-Désolé Janyce mais ce n’est pas la bonne cette fois-ci
Il retire ses gants, je descends ma marinière et vais m’asseoir en face de lui.
–Mais c’est impossible que je ne sois pas enceinte Dr Assezo. Vous êtes sûr que je n’ai pas un problème ?
-Vous n’êtes pas stérile, Janyce et votre mari non plus.
-Mais pourquoi ça n’arrive pas alors? On a des rapports aux moments propices. Qu’est ce qui ne va pas ?
-Calmez-vous, Janyce. Arrêtez de stresser. Laissez les choses se faire d’elles-mêmes. Vous êtes en bonne santé, ce bébé viendra au moment opportun.
Pourquoi ce moment opportun ne peut pas coïncider avec maintenant ? Je n’ai plus envie d’attendre. J’ai peur qu’en attendant le contraire se produise. J’ai peur de m’installer dans la passivité, de ne plus désirer un enfant et de m’arrêter dans ma marche.
Je quitte le bureau de mon gynécologue et m’assois dans la salle d’attente. Je passe ma matinée là, à regarder ces femmes qui vivent mon rêve. Je suis arrivée au stade où on aimerait vivre la vie de l’autre.
Sur la route qui mène à notre quartier des 220 logements, j’achète des bananes braisées, je n’ai pas la tête à cuisiner.
Je passe mon après-midi à colorier, à repasser des habits et à pleurer. Je veux une autre vie…
-Je suis rentré mon bébé ! Lance Lary
-Je suis dans la douche, j’arrive!
Je me passe de l’eau sur le visage et vais rejoindre mon mari. Je m’efforce de répondre joyeusement à ses câlins, il va dans la douche et moi à la cuisine. Nous sommes mercredi et les mercredis j’ai l’habitude de faire une recette d’un pays étranger. Aujourd’hui ça sera des beignets nigérians aux crevettes.
Lary a l’air de manger avec appétit, moi non. Je laisse tomber ma fourchette.
-Quelque chose ne va pas mon bébé?
-J’ai fait un test de grossesse ce matin parce que j’avais un retard mais bon je ne suis pas enceinte. Dans 8 mois, tu ne seras toujours pas papa.
Il pousse sa chaise et vient me prendre dans ses bras. Je n’arrive pas à donner d’enfants à mon mari. Ah Seigneur! Quel terrible supplice!
-Ce n’est pas grave mon bébé. On essaiera encore et encore jusqu’à ce que ça soit bon.
-On a vraiment essayé cette année. Je suis sûre que c’est l’utilisation de la pilule qui provoque cela. Je n’aurais jamais dû la prendre, je n’aurais jamais dû t’écouter.
-Arrête… Dit-il en me faisant une bise dans le cou. Je n’avais pas une situation professionnelle stable et toi non plus. On ne pouvait pas élever un enfant dans ces conditions!
-Quelles conditions? Quelles conditions? Il y a des gens qui vivent dans des conditions pires que celle que nous avons eue mais ils arrivent à élever leurs enfants.
-Mais ils ne savent pas quel sera leur avenir.
-N’importe quoi ! On a raté notre chance, notre opportunité. C’est DIEU qui donne et on n’a pas su discerner le moment où il voulait nous en donner.
Je me mets à pleurer. Nous sommes mariés depuis 3 ans et on n’a toujours pas d’enfant. J’ai pris la pilule pendant 2 ans parce que Lary voulait qu’on ait un CDI et un minimum d’épargne avant de faire un bébé. Ça fait un an que j’ai arrêté d’en prendre mais il n’y a toujours pas de vie en moi.
***
Mon visage est plus souriant aujourd’hui. Ma tristesse n’a pas disparu mais je ne peux pas la montrer aujourd’hui, surtout pas en présence de mes bouts de chou, ces enfants que j’éveille à la vie via le coloriage, la peinture, le dessin et le chant.
Je suis maîtresse de la petite enfance à l’école les poussins d’Adjamé, je m’occupe de la petite section.
Je les aime tous mais particulièrement ceux qui me prennent dans leurs bras en arrivant le matin ou ceux qui me disent que je ressemble à leur maman.
En début d’année, ils étaient tous apeurés et au fil des jours, ils se sont habitués à moi et à tous leurs petits copains. J’aime les enfants, je prends soin des enfants des autres, n’est-ce pas assez suffisant pour que le Ciel m’en accorde juste un?
-Allez les enfants, on s’assoit et on mange en silence. On ne parle pas …
-La bouche pleine !!!! Crient-ils en chœur
-Bon appétit !
-Merci maîtresse !
Je m’installe à côté de Kendall qui ne sait pas manger sans s’en mettre partout. Je vais ensuite essuyer les larmes de Noah qui vent de faire tomber ses biscuits. Je remercie Esdras qui lui propose gentiment une part de son gâteau. C’est si mignon, les enfants à cet âge.
-Maîtresse, tu veux mon du pain là ?
-On dit : maîtresse, tu veux mon pain ?
Elle répète après moi.
-C’est bien. Merci Mackenzie mais je n’ai pas faim. Bon appétit.
-Merci maîtresse.
Elle repart proposer à ses amies. Qu’est-ce qu’elle est mignonne, Mackenzie ! Et dire que sa mère ne vient jamais la chercher, en tout cas, pas à temps. Elle est la seule à rester avec le gardien à la fin de la journée. Ah ! Si j’avais un enfant, je me pointerais une demi-heure avant. On ne fait pas attendre les belles choses.
A midi, mon ventre gargouille fortement. J’ai décidé de jeûner. Au lieu de manger, je me nourris des paroles de Dieu qui portent sur l’enfantement. Ce n’est pas facile de rester le ventre vide quand on doit s’occuper d’enfants mais le jeu en vaut la chandelle. Je me suis levée en plein milieu de la nuit et j’ai rappelé au Seigneur la liste des femmes stériles à qui il avait donné un enfant.
« Ouvrirais-je le sein maternel, Pour ne pas laisser enfanter ? Dit l’Éternel ; Moi, qui fais naître, empêcherais-je d’enfanter ? Dit ton Dieu. »
Seigneur ne m’oublie pas tu as dit que tu ne nous éprouveras pas au-delà de nos forces. Je ne suis pas Sarah, je ne pourrai pas attendre 24 ans. Pitié !!!
Le reste de la journée passe avec une sidérante rapidité. On ne voit pas le temps passer quand on fait ce qu’on aime.
Je les laisse prendre chacun leur cartable et vérifie la carte d’identité de ceux qui viennent les récupérer avant de les laisser partir avec eux. Je fais vraiment attention, ça me peinerait qu’une mère soit séparée de son fils. Moi, ça me fendrait le cœur.
Mackenzie est la seule à rester comme de coutume. Mais où est donc sa mère ? Je lui fais signe et elle s’avance vers moi. Je la prends dans mes bras et on se met à chanter.
On chante encore et encore comme pour appeler sa mère, l’aider à hâter le pas, lui rappeler qu’un don précieux ne se fait pas attendre. Mais maman n’arrive toujours pas…
Je refais une de ses nattes et pose le regard sur elle. Ah Seigneur ! Une si belle petite fille et sa mère n’est pas capable de s’en occuper. Pourquoi prends-tu un malin plaisir à donner à ceux qui n’en ont pas besoin ?
Mackenzie n’avait pas l’âge autorisé pour être en petite section mais sa mère avait négocié pour qu’elle soit prise. Voulait-elle se débarrasser d’elle ? En quoi un ange comme elle pouvait déranger ?
-Maîtresse, le bébé !
Je la regarde, surprise.
-Le bébé ? Il est où ?
Elle me touche le ventre et me sourit. Mes larmes coulent instantanément…
Suis restée scotcher!!!
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Merci homo! 🙂
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