« C’était la seule à Nyala et sans doute même dans tout le Soudan à s’appeler Abderahman. » Avec son prénom d’homme et sa cicatrice à la joue, terrible signe de beauté, Abderahman est la fille de fortune de tante Kharifiyya, sans enfant et le cœur grand, qui l’a recueillie en lui demandant de ne plus jamais parler de la guerre. De la guerre, pourtant, Abderahman sait tout, absolument tout.
C’est un jour de marché qu’elle rencontre Shikiri, enrôlé de force dans l’armée avec son ami Ibrahim. Ni une, ni deux, Abderahman en fait joyeusement son mari. Et lui demande de l’aider à se venger des terribles milices janjawids en en tuant au moins dix.
Formidable épopée d’une amazone de circonstance dans un monde en plein chaos, le Messie du Darfour est une histoire d’aventure et de guerre, une histoire d’amitié et de vengeance qui donne la part belle à l’humour et à la magie du roman.
Il me fallait lire ce roman pour deux raisons :
- Il a reçu le Prix littéraire les Afriques en 2017
- Il est l’oeuvre d’un auteur soudanais. Nationalité que je n’ai pas encore lue sur ma carte des auteurs africains.
Dès les premières lignes, l’auteur me lance un sort. Je suis captivée par la danse de ses mots, sa musicalité, son style narratif.
Il dresse un portrait glaçant des Janjawids. Miliciens encouragés par les autorités soudanaises, ils massacrent, violent, pillent, réduisent en esclavage les populations non-arabes.
Y cohabitaient les victimes chassées de leurs villages et les criminels qui se chargeaient de l’expulsion des villageois, mais aussi des citoyens pour qui cette guerre ne signifiait rien, ou encore des commerçants, seuls bénéficiaires du conflit et dont les biens s’étaient multipliés suite à la spéculation, au boursicotage et à la pénurie réelle ou organisée, des janjawids aussi, à la périphérie des grands camps, qui se pavanaient en ville dans leurs Land Cruiser découvertes équipées de mitrailleuses Douchka et de lance-roquettes. Leurs habits étaient sales, trempés de sueur et couverts de poussière, ils étaient bardés de longs grigris et coiffés de casques, leurs cheveux étaient épais et sentaient à la fois le désert et l’exil, ils portaient à l’épaule des fusils G-3 de fabrication chinoise et tiraient sans la moindre raison, sans aucun respect pour l’âme humaine, ils ne faisaient aucune différence entre les humains et les animaux, traitant les premiers comme des chiens. On les reconnaissait aussi à leur langue, le dajar, qui est l’arabe parlé au Niger ou quelque part dans l’ouest du Sahara, ils n’avaient ni femmes ni filles, il n’y avait aucun civil parmi eux, pas plus que de gens pieux ou cultivés, de professeurs, de personnes instruites, de directeurs, d’artisans, ils n’avaient ni village, ni ville, ni même de maison où ils auraient pu désirer rentrer à la fin de la journée, une seule passion les animait, un être aux longues pattes et au dos solide, doté d’une boss capable de contenir autant d’eau qu’un tonneau, à propos duquel ils déclamaient de la poésie, dont ils mangeaient la chair et la graisse, dont ils buvaient le lait, vivant tantôt sur son dos, tantôt sous une tente faite de ses poils, un animal capable de les emmener très loin, comme tuer ou se faire tuer uniquement pour lui assurer des pâturages, à la fois leur maître et leur esclave, leur seigneur et leur serf : le chameau.
Personne ne sait exactement pourquoi le gouvernement avait choisi ces gens-là, parmi tous les peuples d’Afrique, pour mener à sa place la guerre au Darfour.
Les janjawids ne sont pas une tribu, ni même une ethnie, car l’homme naît bon, ce n’est que plus tard qu’il a le choix entre devenir un être humain ou un janjawid.
Le récit est marqué par leur violence.
La guerre est une horreur et ce sont les femmes qui en pâtissent le plus. Leurs corps sont utilisés, usés, martyrisés. A travers Abderhaman et toutes ces femmes qui apparaissent dans le récit, on découvre le supplice qui leur est réservé.
On ressent l’espérance du peuple qui attend désespérément le Messie. Comment ne pas l’attendre quand la souffrance est une spirale sans fin ?
L’auteur livre un texte engagé sur le contexte politique au Darfour : épuration ethnique, double jeu du gouvernement. J’aime ces livres qui corrigent notre cécité, tirent la sonnette d’alarme.
C’est un beau roman mais la chronologie est parfois difficile à suivre. Il y a des flashbacks, on traverse des époques différentes.
Avant de plonger dans ce roman, il est nécessaire de se renseigner sur ce qui se passe et s’est passé au Darfour afin d’entrer pleinement dans le texte. Méconnaissant l’histoire du Darfour et l’Islam, j’ai passé beaucoup de temps sur Wikipédia pour savoir ce que signifiait le Mahdi par exemple.
L’auteur m’a donné l’envie de connaître davantage le Soudan. J’ai plus que hâte de lire Nouvelles du Soudan.
J’espère le retrouver dans mes swaps en cours.
L’impiété n’est qu’un degré extrêmement complexe de la foi.
et l’on a le droit en tant qu’humains de ne conserver de l’Histoire que ce qui nous concerne, on a le droit aussi de ne pas croire ceux qui l’écrivent, il n’y a pas de vérité absolue dans ce qui est consigné, rien n’est pus vrai que ce que l’on voit de ses propres yeux, ce que l’on ressent, ce pour quoi on souffre tous les jours, voilà le malheureux héritage laissé par l’esclavage.
C’est le 5e roman que je lis des éditions Zulma. Envie de découvrir les 4 autres ?
J’aime le design de leurs couvertures et vous ?
Ce livre semble faire partie de ces livres nécessaires à lire mais qui demandent le bon état d’esprit et un certain engagement… Merci pour ton avis.
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