«On ne nous aimait pas, enfermés dans un milieu clos, sans marques d’affection ni la possibilité de fixer des repères. Nous étions dans le même guêpier, égarés dans un tunnel ou une voie sans issue, et à mesure que nous avancions, la neige effaçait les empreintes de nos bottes pour prouver que nous n’existions pas.»
Dans chacun de ses romans, Jean-François Samlong ne cesse d’interroger la violence qui secoue La Réunion. Cette fois-ci, dans un style percutant et concis, il nous convie à découvrir l’histoire des enfants de la Creuse. En fait, une véritable tragédie s’est déroulée entre 1962 et 1984, avec l’exil forcé en métropole de plus de deux mille mineurs réunionnais. Mensonges. Fausses promesses. Trahisons. Harcèlement sexuel. Viols. Tentatives de suicide, et suicides. Séjours en hôpital psychiatrique. Une catastrophe invisible. Enfin, le 18 février 2014, l’Assemblée nationale a reconnu la responsabilité morale de l’État français dans la terrifiante transplantation des enfants. Ici, deux jeunes garçons, Tony et Manuel, et leur sœur courage, Héva, qui témoigne des vies séparées, suspendues, piégées au cœur du froid et du racisme.
La 4e de couverture ne nous cache rien. On sait à quoi s’attendre avant d’ouvrir ce roman. Je n’avais pas envie de voir face à face la douleur, l’injustice alors j’ai repoussé ma lecture jusqu’à ce que j’ai besoin de ce livre pour valider une case de mon challenge Westeros.
Le roman comporte 3 parties, chacune composée de 4 chapitres.
L’auteur énonce d’abord des faits historiques de 1945 à 1962 puis s’efface pour que la voix d’Héva s’impose.
Héva débute son récit en 2014, elle vit à Guéret et nous partage ses souvenirs
Après des années à noircir des pages, puis à relire le récit de ma vie dans la Creuse,
j’aimerais partager mes souvenirs. Et surtout qu’on n’oublie rien de moi, ni de mes frères, ni des mineurs qui ont eu à pâtir de l’injustice sociale, comme si une chose aussi scandaleuse que la déportation d’enfants pouvait s’oublier avec un détachement à l’égard de ce qui a été, page 19C’est vraiment quand on s’écrit que le livre est essentiel à soi, voilà pourquoi j’ai voulu raconter mon histoire. À l’époque, j’étais jeune et la loi archaïque. J’étais désarmée et la loi armée. Suffisamment armée pour encourager les politiciens à propager la légende d’une France aimable et aimante.
J’avais seize ans. Mes frères étaient plus jeunes que moi : Tony, quatorze ans ; Manuel, onze ans. D’autres des bébés. D’autres encore, des fantômes. Des gosses sans visage ni
âge, sans voix ni parole, comme absents d’eux-mêmes. Eux, des orphelins, des pupilles de la Nation, des analphabètes, des brouillons de vie dans l’ordre inique des choses, page 20
Elle nous raconte la vie dure qu’elle menait avec sa mère et ses deux frères, une vie de misère mais imprégnée d’amour jusqu’à ce que le député de l’île qui, souhaitait repeupler le Limousin déporte les enfants de l’île vers les départements de la région du Limousin.
Des parents analphabètes signaient des actes dont ils ignoraient le contenu.
Sous la pression des politiciens, on alignait les gosses deux par deux, puis on les empilait dans un même avion, un même train, une même tragédie. page 69
Dans le limousin, ces enfants sont placés soit dans des familles d’accueil, soit dans des fermes où ils sont surexploités, logés dans des conditions précaires, victimes d’abus. Dans ce pays étranger, ces enfants subissent le racisme.
Comme j’avais beaucoup écouté le vieil homme, je savais que, dans la France policée de l’après-guerre, il existait une protection sociale de l’enfance, oui, mais elle ne s’appliquait pas à tous.
Avec un langage maîtrisé et soutenu, un ton loin du pathos, Un soleil en exil est un livre mémoire, un livre témoignage qui dénonce la déportation des enfants de l’île de la réunion et le mensonge d’Etat. Un livre qui rappelle l’injustice, la souffrance ignorée, oubliée de ces enfants.
Je méconnaissais cette partie de l’histoire française. Je remercie l’auteur qui refuse que ce drame tombe dans l’oubli.
Éditeur : Gallimard
Collection : Continents noirs
Date de publication : Janvier 2019
Nombre de pages : 256
Disponible aux formats papier et numérique
Roman présélectionné pour le Prix les Afriques 2020
Cet épisode est en effet terrible. J’en ai entendu un peu parler par ma famille réunionnaise qui n’a pas été touchée (on est blancs). C’est un vraiment une honte et la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français est vraiment tardive…
Et dire que certains ont osé parler des « effets positifs » de la colonisation, j’ai parfois honte de mon pays.
Je note ce livre, ce témoignage doit être vraiment poignant.
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Oui, heureusement on ne tombe pas dans le pathos sinon j’aurais coulé des larmes.
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Cet épisode de l’histoire française est juste effroyable et inimaginable…
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Il y a eu tant d’horreurs dans le passé. Je me demande quand est-ce que ce monde sera meilleur
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Si un jour, il l’est…
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Merci Grâce, je l’ajoute directement dans ma liste de souhaits 😊
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Super ! Tu me diras quand tu l’auras lu 🙂
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J’en ai rencontrés, venus de la Réunion en Bretagne, certes dépaysés et privés de leur île de naissance, mais heureux quand même, devenus adultes.
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Eh oui il y en a qui s’en sont bien sortis et d’autres non. Ainsi va la vie.
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