En 1837, Suzette est esclave chez de riches planteurs français installés en Louisiane. Ici, les blancs ne brutalisent pas les Noirs, ils les considèrent simplement comme des outils domestiques. Séduite et engrossée par Eugène Daurat, un bellâtre bordelais, elle va donner naissance à Philomène. L’émancipation est en route. Philomène sait se rendre indispensable et, à la mort de ses maîtres, toute la plantation repose sur ses épaules.
Peu à peu, grâce à sa liaison avec Narcisse Fredieu, un fermier blanc fort épris d’elle, elle va mener combat afin d’obtenir de meilleures conditions de vie pour elle et ses enfants. Ce roman épique, inspiré d’une histoire vraie – celle de l’auteur -, s’appuie sur l’extraordinaire force de vie et la soif de progrès de ces femmes qui utilisent les seules armes dont elles disposent : patience, endurance, ruse et séduction pour trouver la force nécessaire à élever seules leur nombreuse progéniture, et à vivre les heures les plus sombres dans la promesse et l’espoir de la liberté.

Une saga familiale évoquant des femmes qui ne sont pas des personnages de papier, des femmes qui ont réellement existé. Des femmes fortes…
L’histoire débute dans les années 1850.
Suzette est la première femme de la lignée ancestrale à être présentée. Née en 1825, nègre de maison, elle va être violée à répétition par Eugène Daurat
À la fin de chacune de leurs relations, il lui disait : Merci, ma chère.
Suzette essayait de deviner ce que l’homme-poupée voulait dire par là. S’il s’agissait d’un véritable remerciement, avait-elle la possibilité, quand il voulait la rencontrer, d’obéir ou non à ses instructions ? Était-elle autorisée à dire tout haut qu’elle n’avait pas envie de s’allonger en cachette pendant qu’il fouraillait et parfois lui faisait mal ?Elle n’avait pas la possibilité de lui résister. C’était un adulte, un homme blanc et un ami des Derbanne. Elle ne pouvait pas se confesser à sa mère.
Ce viol subi par Suzette n’est pas inédit. Sa mère l’a aussi subi….
De ces viols vont naître des enfants métis. Si ce métissage n’a pas été recherché par Suzette, sa fille, Philomène va le désirer en vue d’assurer un meilleur avenir pour sa descendance. Philomène est convaincue qu’une peau claire servira à ses enfants. Elle leur donnera accès à une ascension sociale, à plus de liberté.
Philomène utilisera le désir de l’homme blanc pour blanchir le sang de sa lignée et avoir des droits…. Ruse et séduction vont être ses armes pour atteindre ses objectifs.
— Sois pas téméraire au point d’imaginer que tu peux gagner le cœur de Narcisse Fredieu, répondit Elisabeth.
— Qu’est-ce que j’ferais du cœur d’un homme blanc ? répliqua Philomène d’un ton tranchant. J’veux sa tête, son esprit. J’suis pas sans ressource, Mémère. Moi aussi, j’peux épier les gens, regarder dans leur âme. Il veut que j’le connaisse, mais il me connaîtra jamais.
Elle fit lever les bras à Eugène pour lui enlever sa chemise sale.
— T’as des idées préconçues sur la couleur, exactement comme Suzette, dit-elle à Philomène.
— Une peau claire, ça leur servira.
Philomène regarda ses enfants. Leurs cheveux cuivrés étaient raides et ils avaient des traits de type européen et non africain.
— Tous les deux, on croirait des Blancs.
— Ce genre d’idée, grommela Elisabeth, ça vous brise une famille.
La logique de Philomène va s’ancrer dans la famille et se transmettre de génération en génération.
La logique familiale le poussait à épouser une femme aux caractéristiques précises : une peau blanche, des yeux clairs, des cheveux raides, une éducation catholique. Et féconde, pour que la génération à venir augment encore la distance entre eux et les nègres, et se rapproche des Blancs. Il était même envisageable qu’il épouse une Blanche, comme son oncle Nick l’encourageait à le faire.
Des générations avaient été sacrifiées au nom de l’apparence. Cette pensée remplissait T.O.
La seule chose qui lui restait à faire était de purifier le sang de ses propres enfants. Combien de fois sa mère ne lui avait-elle pas dit que le sang était tout ? Bien évidemment, elle parlait du sang blanc.
J’ai apprécié, le refus de T.O, descendant de Philomène, de faire perdurer cette coutume familiale et d’épouser une noire.
Au bord de la rivière cane montre un aperçu d’une époque importante de l’histoire afro-américaine. Fin de l’esclavage, instauration de la ségrégation raciale et des relations interraciales perçues comme un crime.
— Nicolas, il a toujours été gentil avec moi, dit-elle d’un ton collet monté.
— Y a gentil et gentil. Gentil par simple obligeance et gentil sur quoi bâtir une partie de sa vie. Même si Nicolas, il avait du goût pour toi, sa famille, elle le tolérerait pas.
Ce roman dépeint le colorisme, le rejet de la couleur de peau noire parce qu’elle renvoie à l’esclavage, à la souffrance, au plafond de verre…
Au bord de la rivière cane est un roman émouvant, entraînant. Les personnages bien construits ont du caractère à l’instar de Philomène lucide, déterminée, très pragmatique. Le style fluide de l’auteur permet de traverser la rivière de papier de 496 pages sans frôler l’ennui.

Éditeur : Charleston
Année de publication : 2019
Nombre de pages : 496
Disponible aux formats papier et numérique
Roman présélectionné pour le Prix les Afriques 2020
