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Les Jango – Abdelaziz Baraka Sakin

Couverture Les Jango

Les Jango sont décidément impayables. On les reconnaît à leur élégance tape-à-l’œil et à leur sens de la fête. Et ce sont les femmes qui mènent la danse, dans la Maison de la Mère, au cœur de toutes les rumeurs.
Les histoires les plus folles courent d’ailleurs sur Safia, élevée au lait de hyène, Alam Gishi l’Éthiopienne experte en amour, ou l’inénarrable Wad Amouna. Lorsque soudain souffle le vent de la révolte…
Dans les effluves de café grillé, de chicha parfumée et de gomme arabique, se joue une comédie humaine dont les Jango, « sages à la saison sèche et fous à la saison des pluies » sont les héros.

Le Jangawi ou Jangojoray – singulier de Jango – porte différents noms selon les mois et les saisons : on l’appelle Katakaw entre décembre et mars, lorsqu’il travaille dans les plantations de canne de Kanana et les sucreries de Khashm al-Girba, Assaleya ou al- Jounayd.
On l’appelle Fahami entre avril et mai, lorsqu’il est recruté comme oum bahatay – c’est le nom qu’on donne ici aux charbonniers – pour débroussailler les nouvelles plantations ou les terres en friche, et transformer troncs et branchages en charbon végétal.
On l’appelle Jango ou Jangojoray de juin à décembre, c’est-à-dire depuis les premières pluies jusqu’à la fin de la saison de la récolte du sésame.

Une fois que l’on sait ce qu’est un Jango, on part à la découverte des différents personnages et dans chacun d’eux résonne le mot liberté :

  • Liberté de choisir notamment à travers Al Aza qui a refusé de suivre les avis de son père et ses frères qui voulaient la marier
  • Liberté de commercer pour ces femmes qui vendent de l’alcool local et sont envoyées sans cesse en prison. 
  • Liberté d’être à travers Wad Amouna, l’efféminé
  • Liberté de corps. Le sexe, la jouissance sont très présents dans ce livre.

L’auteur également revendique sa liberté d’écrire malgré la censure. C’est un choix osé qu’il fait à travers ce livre.

J’ai découvert les jango et leur quotidien mais aussi le quotidien de femmes qui n’ont visiblement que 3 choix de vie: devenir des Jangojorayya, fabriquer de l’alcool ou se prostituer. 

L’auteur évoque également l’importance de respecter les us et coutumes, la culture des autres

ce que je considérais comme un mal selon ma propre éducation pouvait être perçu autrement dans d’autres cultures, selon d’autres valeurs.

Le style est entraînant. On est parfois entre fable et réalité à travers le récit des divers personnages mais certains faits m’ont gênée : j’ai notamment été choquée du viol sur mineur qui a été banalisé.

Les personnages sont intéressants à suivre mais j’ai déploré le fait qu’il n’y ait pas souvent de réelle transition pour introduire un personnage.

J’aurais aimé que les femmes se racontent elles-mêmes. Aussi, il reste à mon sens des zones d’ombre dans leurs vies. Je fais surtout référence à Safia.

Ce roman est finaliste du Prix les Afriques 2021.

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Nouvelles du monde #3 : Soudan

Le Soudan est un immense pays abritant une mosaïque de cultures, de langues et de religions : Nubiens et Arabes, mais aussi Fur et Massalit à l’ouest, Dinka et Nuer au sud, Beja à l’est, les uns étant musulmans, les autres chrétiens ou animistes…

Hormis Tayeb Salih, auteur de Saison d’une migration vers le Nord, un roman qui a connu un franc succès tant dans le monde arabe qu’en Occident, peu d’écrivains soudanais ont réussi à faire entendre leur voix à l’extérieur de leur pays. Ce recueil de nouvelles entend faire connaître quelques-uns d’entre eux qui abordent, souvent avec humour, les difficultés auxquelles sont confrontés leurs compatriotes depuis plusieurs décennies : guerre, misère, clivages confessionnels et ethniques, exil… Ils viennent des quatre coins du pays mais s’expriment tous en arabe. Ils nous content les aventures d’un citadin venant d’acquérir un char, de villageois fâchés contre les dieux, d’un enfant des rues embourbé dans la misère de la capitale ou encore d’un âne en manque de reconnaissance.

l'Afrique écrit

Après Nouvelles de Nouvelle-Calédonie, Nouvelles du Mexique, Cap sur le Soudan.

Des six auteurs de ce recueil, je ne connaissais que la plume d’Abdulaziz Baraka Sakin. Ce recueil était donc un voyage vers l’inconnu à 83% ;  une prise de risque récompensée car j’ai passé un bon moment de lecture en compagnie d’auteurs soudanais talentueux. Leurs plumes sont captivantes.

Chaque nouvelle est précédée d’une brève description de son auteur. Le lecteur peut ainsi faire plus ample connaissance avec les auteurs.

Commençons avec le char d’assaut d’Ahmad Al-Malik. Une nouvelle qui relate l’histoire d’un homme propriétaire d’un char et voyant peu à peu l’attitude de ses voisins changer. Une nouvelle qui tient de l’absurde. J’ai apprécié l’ironie subtile de ce texte.

Lanji, la vendeuse de Merissa, nouvelle écrite par Hisham Adam, est l’histoire de Lanji, une jeune fille originaire du sud du pays, chassée de son village par la guerre civile. Elle débarque dans la capitale, remplie d’espérance. Mais la ville est-elle le paradis qu’elle espère tant ? Une nouvelle qui montre la dureté du quotidien.

Une femme du camp kadis d’Abdulaziz Baraka Sakin évoque la vie d’une femme qui doit s’organiser avec minutie pour travailler sans relâche et en même temps allaiter son petit. 

Dans L’âne du prédicateur d’Abdelghani Karamallah, on a une vision des hommes par l’œil d’un animal : un âne. Ce dernier fait le portrait de la société, évoque sa vie de dur labeur dénué de reconnaissance.

Histoires de portes de Rania Mamoun est l’histoire du désespoir d’un homme.

J’ai eu un coup de cœur pour la nouvelle de Stella Gaetano : Des mondes inconnus sur la carte. Un frère et une sœur qui à travers leur condition nous montrent les conditions cruelles des mendiants dans les rues des grandes villes soudanaises.

Nouvelles du Soudan évoque ceux qui fuient la guerre civile, ceux d’en bas qui n’arrivent pas à se défaire du compagnon cruel qu’est la pauvreté. Il y a du rire, de l’absurde, des pincements au cœur, de la souffrance. C’est le 3e livre de la collection que je lis et je recommande.

 

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Le Messie du Darfour – Prix les Afriques 2017

« C’était la seule à Nyala et sans doute même dans tout le Soudan à s’appeler Abderahman. » Avec son prénom d’homme et sa cicatrice à la joue, terrible signe de beauté, Abderahman est la fille de fortune de tante Kharifiyya, sans enfant et le cœur grand, qui l’a recueillie en lui demandant de ne plus jamais parler de la guerre. De la guerre, pourtant, Abderahman sait tout, absolument tout.
C’est un jour de marché qu’elle rencontre Shikiri, enrôlé de force dans l’armée avec son ami Ibrahim. Ni une, ni deux, Abderahman en fait joyeusement son mari. Et lui demande de l’aider à se venger des terribles milices janjawids en en tuant au moins dix.
Formidable épopée d’une amazone de circonstance dans un monde en plein chaos, le Messie du Darfour est une histoire d’aventure et de guerre, une histoire d’amitié et de vengeance qui donne la part belle à l’humour et à la magie du roman.

l'Afrique écrit

Il me fallait lire ce roman pour deux raisons :

  1. Il a reçu le Prix littéraire les Afriques en 2017
  2. Il est l’oeuvre d’un auteur soudanais. Nationalité que je n’ai pas encore lue sur ma carte des auteurs africains.

 

Dès les premières lignes, l’auteur me lance un sort. Je suis captivée par la danse de ses mots, sa musicalité, son style narratif.

Il dresse un portrait glaçant des Janjawids. Miliciens encouragés par les autorités soudanaises, ils massacrent, violent, pillent, réduisent en esclavage les populations non-arabes.

Y cohabitaient les victimes chassées de leurs villages et les criminels qui se chargeaient de l’expulsion des villageois, mais aussi des citoyens pour qui cette guerre ne signifiait rien, ou encore des commerçants, seuls bénéficiaires du conflit et dont les biens s’étaient multipliés suite à la spéculation, au boursicotage et à la pénurie réelle ou organisée, des janjawids aussi, à la périphérie des grands camps, qui se pavanaient en ville dans leurs Land Cruiser découvertes équipées de mitrailleuses Douchka et de lance-roquettes. Leurs habits étaient sales, trempés de sueur et couverts de poussière, ils étaient bardés de longs grigris et coiffés de casques, leurs cheveux étaient épais et sentaient à la fois le désert et l’exil, ils portaient à l’épaule des fusils G-3 de fabrication chinoise et tiraient sans la moindre raison, sans aucun respect pour l’âme humaine, ils ne faisaient aucune différence entre les humains et les animaux, traitant les premiers comme des chiens. On les reconnaissait aussi à leur langue, le dajar, qui est l’arabe parlé au Niger ou quelque part dans l’ouest du Sahara, ils n’avaient ni femmes ni filles, il n’y avait aucun civil parmi eux, pas plus que de gens pieux ou cultivés, de professeurs, de personnes instruites, de directeurs, d’artisans, ils n’avaient ni village, ni ville, ni même de maison où ils auraient pu désirer rentrer à la fin de la journée, une seule passion les animait, un être aux longues pattes et au dos solide, doté d’une boss capable de contenir autant d’eau qu’un tonneau, à propos duquel ils déclamaient de la poésie, dont ils mangeaient la chair et la graisse, dont ils buvaient le lait, vivant tantôt sur son dos, tantôt sous une tente faite de ses poils, un animal capable de les emmener très loin, comme tuer ou se faire tuer uniquement pour lui assurer des pâturages, à la fois leur maître et leur esclave, leur seigneur et leur serf : le chameau.
Personne ne sait exactement pourquoi le gouvernement avait choisi ces gens-là, parmi tous les peuples d’Afrique, pour mener à sa place la guerre au Darfour.

Les janjawids ne sont pas une tribu, ni même une ethnie, car l’homme naît bon, ce n’est que plus tard qu’il a le choix entre devenir un être humain ou un janjawid.

 

Le récit est marqué par leur violence.

La guerre est une horreur et ce sont les femmes qui en pâtissent le plus. Leurs corps sont utilisés, usés, martyrisés. A travers Abderhaman et toutes ces femmes qui apparaissent dans le récit, on découvre le supplice qui leur est réservé. 

On ressent l’espérance du peuple qui attend désespérément le Messie. Comment ne pas l’attendre quand la souffrance est une spirale sans fin ?

L’auteur livre un texte engagé sur le contexte politique au Darfour : épuration ethnique, double jeu du gouvernement. J’aime ces livres qui corrigent notre cécité, tirent la sonnette d’alarme.  

 

C’est un beau roman mais la chronologie est parfois difficile à suivre. Il y a des flashbacks, on traverse des époques différentes.

 

Avant de plonger dans ce roman, il est nécessaire de se renseigner sur ce qui se passe et s’est passé au Darfour afin d’entrer pleinement dans le texte. Méconnaissant l’histoire du Darfour et l’Islam, j’ai passé beaucoup de temps sur Wikipédia pour savoir ce que signifiait le Mahdi par exemple. 

 

L’auteur m’a donné l’envie de connaître davantage le Soudan. J’ai plus que hâte de lire Nouvelles du Soudan.

J’espère le retrouver dans mes swaps en cours.

Un amour interdit Alyssa Cole

L’impiété n’est qu’un degré extrêmement complexe de la foi.

et l’on a le droit en tant qu’humains de ne conserver de l’Histoire que ce qui nous concerne, on a le droit aussi de ne pas croire ceux qui l’écrivent, il n’y a pas de vérité absolue dans ce qui est consigné, rien n’est pus vrai que ce que l’on voit de ses propres yeux, ce que l’on ressent, ce pour quoi on souffre tous les jours, voilà le malheureux héritage laissé par l’esclavage.

 

C’est le 5e roman que je lis des éditions Zulma. Envie de découvrir les 4 autres ?

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De ce côté 

Quelque part

J’aime le design de leurs couvertures et vous ? 

 

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