Lorsque s’ouvre l’Exposition universelle de Bruxelles le 17 avril 1958, Robert Dumont, Sous-commissaire du plus grand évènement international depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a fini par rendre les armes : il y aura bel et bien un « village congolais » parmi les quatre pavillons consacrés aux colonies. Le Palais royal a coupé court aux atermoiements du supérieur direct de Dumont, son ami le baron Guido Martens de Neuberg, Commissaire général d’Expo 58.
Dumont ignore que, parmi les onze recrues congolaises mobilisées au pied de l’Atomium pour se donner en spectacle devant les visiteurs venus des quatre coins du monde, figure la jeune Tshala, fille de Kena Kwete III, l’intraitable roi des Bakuba. Le périple de cette princesse nous est alors dévoilé, entre son Kasaï natal et Bruxelles, en passant par Léopoldville où elle a côtoyé Patrice Lumumba et Wendo Kolosoy, le père de la rumba congolaise, jusqu’à son exhibition forcée à l’Expo 58, où l’on perd sa trace.
Été 2004. Fraîchement débarquée en Belgique, une nièce de la princesse disparue croise la route d’un homme hanté par le fantôme du père. Il s’agit de Francis Dumont, professeur de droit à l’Université libre de Bruxelles. Une succession d’événements fortuits finit par dévoiler à l’un comme à l’autre le secret emporté dans sa tombe par l’ancien Sous-commissaire d’Expo 58. D’un siècle à l’autre, la petite histoire embrasse la grande pour poser la question de l’équation coloniale : le passé peut-il passer ?
J’ai découvert la plume de Blaise Ndala via Sans capote ni kalachnikov. Ayant apprécié sa plume mordante, j’avais hâte de lire un autre de ses récits. Et l’opportunité s’est présentée l’an dernier, lorsque ma maison d’édition Vallesse a édité pour l’Afrique, Dans le ventre du Congo et qu’il a reçu le Prix Ivoire 2021.
Deux parties et un prélude forment la charpente de ce roman. L’Expo 58 est présentée trois mois avant, puis quarante-cinq après et six semaines après l’ouverture officielle. La 2e partie est dédiée au retour au Congo.
Le lecteur découvre les coulisses de cette exposition mais surtout la princesse Tshala qui, tombant amoureuse d’un colon belge, sera obligée de partir à Léopoldville après cet affront que constitue cette liaison interdite. Une mauvaise rencontre avec Mark de Groof, commerçant et collectionneur d’art va l’amener à se retrouver au « village de bantous congolais » de l’Exposition Universelle avec une dizaine de congolais.
Dans l’un des pavillons les plus courus où les visiteurs pouvaient s’émerveiller devant un village de Bantous congolais avec leur invité Pygmée, en pleine jungle équatoriale, comme si vous y étiez », et ainsi toucher du doigt « le long chemin que la Belgique a fait prendre à ses indigènes depuis les ténèbres de l’époque de Kurtz jusqu’à l’ère contemporaine »
Tshala va donner du fil à retordre aux responsables du pavillon. J’ai apprécié son esprit rebelle. Pendant que ses compagnons dansent au rythme du folklore de l’ethnie teke, elle chante en français ou en latin.
Elle décide avec le groupe de mettre un terme à leur participation aux activités à la suite d’un incident dans ce pavillon congolais_ un incident qui va se répéter, dans un stade de foot, 45 ans après. Mais le pygmé Zando Bara, membre du groupe, est le seul à s’opposer. Et les mots de Zando Bara m’ont fait penser à toutes ces personnes qui parce qu’ils n’ont jamais expérimenté le racisme en ont marre des revendications des autres, ces personnes qui trouvent que le racisme est moins choquant, moins humiliant que le tribalisme. La dignité humaine a-t-elle plusieurs couloirs, plusieurs échelons ?
A travers l’histoire de Tshala, ce sont des faits historiques méconnus qui sont évoqués. Je n’avais pas en effet connaissance de cette exposition universelle de 1958 ni des collections de près de 200 fœtus, crânes et autres ossements d’Africains qui sont gardés depuis la fin du XIXe siècle dans les musées royaux belges.
Le passé est sale. Doit-on l’exhumer ? Dans le ventre du Congo semble être engagé sur la voie de la conciliation, celle qui jette un coup d’œil furtif au passé mais vit pour le futur.
… depuis que la terre est notre demeure commune, des peuples se rencontrent, tantôt dans la joie, tantôt dans la douleur, tantôt sous l’étreinte de l’allégresse, tantôt sous le joug de la barbarie.
Ce ne sont pas les blessures qu’ils s’infligent les uns aux autres qui comptent le plus lorsque le temps éclaire nos vacillantes illusions de discernement. Ce qui l’emporte, fils, c’est ce que leurs enfants après eux en retiennent afin de bâtir un monde moins répugnant que celui qui les a accueillis.
Sur la question de l’immigration, l’auteur semble avoir un avis bien tranché
Les humains doivent pouvoir aller où ils veulent, quand ils veulent, parce que c’est tout ce qu’ils ont fait depuis que l’Australopithèque, l’homme de Cro-Magnon ou que sais-je, a quitté sa grotte en Afrique, professeur Funcken. C’est aussi simple que ça, il me semble, non ? Regardez donc à quel point tout ça est finalement très banal : les Allemands, par centaines, vont en Chine et y trouvent leur bonheur ; les Chinois, par milliers, vont en Ethiopie et s’y enrichissent. Alors, dites-moi, au nom de quoi les Ethiopiens n’iraient-ils pas vivre en Australie ou au pôle Nord ?
Ce roman de près de 400 pages est dense, complexe dans sa structure narrative. Impossible de le lire d’une traite pour moi. Il m’a fallu des pauses pour assimiler l’histoire de la lignée royale des Kuba notamment.
Si j’ai pris beaucoup de plaisir à suivre les parties où Tshala est la narratrice, celles de sa nièce Nyota m’ont laissée indifférente car je n’y ai pas trouvé le même degré d’émotions. J’attendais beaucoup de ce dernier roman de Blaise Ndala et j’ai eu l’impression à la fin de ma lecture de rester sur ma faim.
Comme dans sans capote ni kalachnikov, l’un des personnages est un footballeur. Est-ce du pur hasard ou l’auteur aime dresser le portrait des stars du ballon rond ? 😀