Publié dans Arrêt sur une oeuvre

Camarade papa – Gauz

Deux narrateurs, deux époques : période coloniale et post-coloniale.

Dans la vie de Dabilly et le fils de Camarade Papa, il y a un avant et un après : l’avant se situe en France  pour Dabilly et les Pays Bas pour le fils de Camarade Papa, l’après c’est la Côte d’Ivoire.

Nos deux narrateurs nous invitent dans leurs mondes respectifs à tour de rôle.

Sa mère morte, le fils de Camarade Papa est envoyé en Afrique pour retrouver sa grand-mère et ses racines, avec une « mission » : observer le monde post-colonial, tout en restant fidèle à son éducation révolutionnaire.

Gauz fidèle à lui-même parle du communisme à travers les yeux d’un enfant qui a une façon bien rouge de parler. Ses mots déroutent. Il faut oublier le français de Verlaine et être à l’écoute de cette langue nouvelle. Une langue originale, un ton bourré d’humour. On passe un bon moment avec ce Citoyen.

Dabilly quant à lui a toujours rêvé partir. 

Vivre et grandir à Abilly, un lieu dont on porte le nom à l’état civil, et ne pas s’y sentir chez soi. J’ai toujours rêvé partir. Au catéchisme, où je suis assidu, j’ai appris que la rédemption des âmes se faisait en partant. Seul, en bande ou avec tout un peuple, de la Genèse à l’Apocalypse, on part pour se sauver, accomplir une destinée.

Il tente donc l’aventure coloniale. Il raconte son arrivée à la Rochelle, en Alsace, la traversée jusqu’à Grand-Bassam. Dabilly nous fait découvrir le Grand-Bassam des années 1880 : factoreries, enseignes commerciales anglaises, enseignes commerciales françaises.

Dabilly est affecté « à un poste dans une zone boisée comprise au nord d’Assinie. » Dans ce pays inconnu, il devra bâtir un poste et le tenir. Dabilly devient un explorateur.

Les français présents sur la côte ont le sens du devoir. Ils ont une mission et doivent l’accomplir. C’est leur obsession commune. 

« Nous devons accélérer l’occupation effective »,

« Nous devons faire barrage au péril anglais »,

« Nous devons sauver nos établissements sur la côte »,

« Nous devons préserver le fruit de nos efforts »…

Comment parler de colonisation sans parler de Binger ? Il passe presque inaperçu dans ce roman. Gauz préfère parler de Treich-Laplène, résident délégué de France, fin stratège. En parcourant le roman, on comprend mieux pourquoi sa sœur Valentine tenait à faire connaître et reconnaître son parcours héroïque et œuvre pionnière. Binger est un usurpateur.

Toutes les réponses passent par Treich. Un saint. Treich sait. Treich connaît. Treich comprend. Treich peut. Treich va. On ne parle pas de lui, on l’invoque.

— Économie de traite, politique de traités. Le modèle est primitif, mais efficace pour le moment. — Pour les traités, il y a Treich. Toujours flanqué de son « cheeeer Anno », il a le don de capter la sympathie des chefs locaux on ne sait trop comment.

Dabilly est profondément humain, cela le rend attachant. Fleur bleue, j’ai apprécié son histoire d’amour discrète, celle qui fera le lien entre le fils de Camarade Papa et lui.

Dabilly va à la rencontre de la population noire. On découvre les appoloniens, les Kroumens, puis le peuple agny. Sont dévoilés leurs organisations, légendes, rituels et mystères.

Ces populations ne voient pas le mal venir de loin.

— Les chefs noirs ne sont pas un problème. Ils croient que nous sommes là pour le commerce avant tout et ils veulent en profiter. Ils n’ont pas encore conscience que nous allons occuper le pays. Pour le moment, c’est plus facile de s’entendre avec eux qu’avec les Anglais.

 

Merci à l’auteur d’avoir mis en avant ces sociétés matriarcales du Sud où la femme a une place très importante. J’ai apprécié le portrait de Malan Alloua très féministe, maîtresse de son corps et de ses pensées.

Camarade Papa au style parlé et imagé m’a fait passer un bon moment de lecture. Je loue la prise de risque de Gauz.

J’ai apprécié le volet culturel de l’oeuvre même si j’ai été perdue à quelques endroits. L’abondance de personnages secondaires a engendré des moments de confusion. Il faut rester concentrée pour ne pas perdre le fil.

J’ai eu l’impression à certains endroits de ne pas saisir où l’auteur voulait en venir. Il m’a fallu relire des passages. La presse dit que l’auteur fait appel à l’intelligence du lecteur. J’ai tu mes incompréhensions de peur de paraître bête. Non, je refuse d’être une Rami* 😀

Camarade Papa est-il un roman engagé ?

Je vous laisse méditer cette définition de l’engagement en littérature : l’écrivain engagé n’impose pas un point de vue idéologique ou politique, il « a choisi de dévoiler le monde et singulièrement l’homme aux autres hommes pour que ceux-ci prennent en face de l’objet ainsi mis à nu leur entière responsabilité». Il appelle l’action, mais prétend ne pas en déterminer le contenu. C’est bien cette habileté que Sartre, dès 1938, reconnaissait à l’écrivain américain John Dos Passos, dont l’entreprise était « de nous montrer ce monde-ci, le nôtre. De le montrer seulement, sans explications ni commentaires », afin de susciter un sentiment de rejet (Source LE ROMAN FACE À L’HISTOIRE de Sylvie Servoise, chapitre 2 Roman engagé et roman à thèse : les frères ennemis)

 

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Si vous l’avez lu, n’hésitez pas à le signifier en commentaire pour qu’on en discute.

 

* Personnage de soap opera dramatique turque qui souffre de déficience mentale légère.

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