» Antananarivo. Je voulais parler d’une place sans laquelle ma ville n’aurait été qu’une agglomération irriguée de commerce sans réel échange, habitée par des femmes et des hommes qui ne cohabitent pas. La place du 13-Mai m’a fait espérer plus encore : un sens à tout ça, un sentiment d’appartenance à l’avenir, car des ancêtres communs ne suffisent pas pour vivre ensemble. «

De Johary Ravaloson, j’ai déjà lu Vol à Vif, Prix Ivoire 2017 et je désirais lire une autre oeuvre de ce bon conteur.
Le premier personnage rencontré est un chauffeur de taxi abasourdi à cause de la disparition d’une place : la place du 13 mai. Une place historique qui a été rebaptisée Place de l’amour.
Cette place semble imposer une retenue au pouvoir, une peur latente du feu qui à tout moment peut le consumer
Conquérir la Place du 13-Mai c’est faire tomber le pouvoir. Le faire c’est le conquérir. Plusieurs fois déjà. Certains perdront leur vie, d’autres plus rares gagneront une place de ministre. La curie des pompiers incendiaires. Une lutte de places. Plus on s’éloigne du 13 Mai, plus c’est féroce et juteux. C’est si féroce et juteux qu’on oublie le 13 Mai, jusqu’à ce qu’à nouveau la foule afflue sur la place devant la mairie.
On comptait apaiser ainsi de si vieilles douleurs et un si récent sang versé. Place du 13-Mai, s’indignait-on, plus jamais ça !
Le Chauffeur de taxi semble distribuer les rôles. Quatre personnages sont introduits : Nivo Espérance, Justin Rabédas directeur de communication de l’Hôtel de ville et porte-parole du maire PDS, Liva, le chef du service de sécurité de l’Hôtel de ville et Héry, un 4-mis, un enfant de la rue.
Le lecteur n’a pas encore franchi le couloir de la 30e page qu’il assiste à une scène d’une violence inouïe : Héry est violemment frappé par les forces de l’ordre parce qu’il s’en est pris à la clôture de l’hôtel de ville. Laissé pour mort, il est recueilli par Mme Nivo Espérance.
Nivo Espérance est un sarimbavy, un homme efféminé. Né homme, elle se sent femme et veut vivre comme elle l’entend. A travers elle, c’est la thématique de l’identité et de l’affirmation de soi qui est évoquée. J’ai beaucoup été touchée par ce personnage.
Le lecteur découvre le côté urbain d’Antanarivo avec d’un côté les marginaux et de l’autre les puissants.
Il croise des hommes et des femmes, des morceaux de vie qui se croisent, s’entrechoquent.
Amour... Amour de soi, amour de l’autre soi.
Patrie... un groupe d’individus dont l’avidité ne décroît pas; un peuple, des révoltes et une faim qui ne tarissent pas.
Soupe de crabes…. des fouza, des hommes-crabes, de redoutables prédateurs.
Les fouza sautillent, d’autres fouza les écrasent pour sautiller de plus haut. Un fouza se méfie de tout fouza. Et il y a autant de clans fouza que de chefs fouza. Ils ne sont pas bons. Ils veulent tous être chef fouza à la place de tout chef. Ils sont parmi nous et ils veulent tout bouffer ; le riz dans les marmites, le riz dans les réserves, le riz dans les rizières, et même vos futures courses, encore dans le chariot grande taille de chez Jumbo score.
Ce roman dont la charpente est constituée de trente chapitres à la longueur plus ou moins variée a une dimension politique : l’enrichissement des hommes politiques sur le dos des collectivités, la corruption, les jeux d’alliance pour accéder aux bonnes positions, les fausses promesses sont décriés.
Il a également une dimension sociale : la condition des enfants de la rue livrés à eux-mêmes, non insérés dans les programmes sociaux des dirigeants.
Malgré la violence parfois présente, il règne dans ce récit une atmosphère de tendresse, de douceur grâce aux personnages. Chacun réussit à capter l’attention du lecteur avec ses bons et mauvais côtés.
J’ai apprécié le ton fluide de l’auteur qui favorise une accessibilité de l’oeuvre. Néanmoins, il a manqué à mon sens un glossaire pour expliquer les mots et expressions malgaches.

Éditeur : Dodo vole
Collection : Dodo plumitif
Date de publication : 2019
Nombre de pages : 320
Disponible aux formats papier et numérique
Roman finaliste au Prix les Afriques 2020
