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La ronde des ombres de Philippe N. Ngalla

Tourmenté par l’apparition d’ombres mystérieuses et par l’éventualité d’un soulèvement populaire, le dictateur Sylvestre redoute sa chute. Il espère néanmoins triompher de cette sombre perspective grâce à de sûrs recours. Le réveil est, hélas, brutal. Ses féticheurs n’arrêtent pas les ombres, ses méthodes d’apprivoisement de l’opposition ne fonctionnent plus. S’ouvre alors un gouffre de désespoir sous le vieux potentat. Au milieu de sa détresse, la réflexion, naguère absente de sa conduite du pays, lui paraît le secours idéal pour infléchir le destin.

De coloration dramatique nuancée de touches d’humour, La ronde des ombres explore les effets de la peur sur les enjeux du pouvoir.

Nous sommes en Afrique, vraisemblablement au Congo. Politique brillant jusqu’aux premières années de son principat, très vite gagné par l’obsession de perdurer aux affaires, Sylvestre s’était défait de ses dispositions à bien gouverner. Il leur avait préféré d’autres armes. Parmi celles qu’offre l’ingénierie de la conservation du pouvoir, il choisit la désorganisation, la corruption, l’avilissement du peuple et le bâillonnement de son expression.

Ce roman retrace son parcours mais aussi celle de sa féticheuse Mamou Cocton.

A travers ce roman de 200 pages, Philippe N. Ngalla dénonce l’avidité du pouvoir des dirigeants sous les cieux africains. Il donne l’impression de vouloir revaloriser la tradithérapie, le mysticisme/occultisme africain mais je trouve qu’il dessert sa cause. En effet, il présente l’occultisme comme un moyen de manipulation, au service de l’injustice. Par conséquent, l’aspect négatif de l’occultisme ressort plus.

Les courts chapitres ont tenté de donner du rythme à l’histoire mais le style d’écriture était bien trop lourd pour pouvoir m’embarquer. La fin du récit donne un air d’inachevé.

La ronde des ombres aborde un thème d’actualité. Le thème central de cette œuvre a maintes fois été abordé en littérature. J’attendais donc un angle d’étude, de description singulier de la part de l’auteur. Hélas, mes attentes n’ont pas été comblées.

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Au petit bonheur la brousse – Nétonon Noël Ndjékéry

A la croisée des idiomes et des accents, entre la Suisse et son idéal de blancheur et d’ordre, et le Tchad marqué par l’arbitraire d’une histoire postcoloniale « mal apprivoisée », Nétonon Noël Ndjékéry narre les aventures de Bendiman, un enfant tchadien ayant grandi à Genève et s’étant nourri des mythologies des bons petits Helvètes : Guillaume Tell, la Mère-Patrie, la Croix-Rouge, etc. Un soir, son père est rappelé au Tchad avec toute la famille. A l’aéroport de N’Djaména, une voiture noire emporte ses parents. Recueilli par un oncle, il mène son enquête pour découvrir que son père et sa mère sont enfermés pour « Raison d’Etat »
Commence alors pour Bendiman une quête pour faire sortir ses parents de prison dans un pays qu’il ne connaît finalement pas, en guerre civile, tourneboulé par un afflux massif de pétrodollars, où le droit n’a jamais vraiment quitté les livres pour entrer dans la vie quotidienne des gens
Ndjékéry livre un récit picaresque, plein de saveur entre les helvétismes et l’oralité des griots. A mi-chemin entre le conte et le récit d’initiation, Bendiman est le héros malgré lui d’une chevauchée entre les langues et les imaginaires moraux.

l'Afrique écrit

Liliane Kanda et Zakaria Solal ont été pupilles de la Nation tchadienne. Ils ont bénéficié des largesses du Parti. Zakaria a d’ailleurs été nommé chef comptable à l’ambassade du Tchad en Suisse. Leur fils, Bendiman Solal, y naît et vit une enfance heureuse. L’Afrique, il la connaît de manière superficielle. Il l’imagine de façon exotique à travers la savane, les animaux de la jungle. Sa manière occidentale d’appréhender l’Afrique m’a légèrement gênée.

Bendiman va être confronté au dilemme de ses racines. Est-il Suisse ou Tchadien ?

Tu ne peux te réclamer d’une terre qu’une fois que tu lui as rendu ce qu’elle t’a donné à boire et à manger 

Cette phrase énoncée par un compatriote le mine malgré les mots rassurants de sa mère

Tu n’es pas tenu de choisir entre tes appartenances. 

Ce roman pose la question de l’identité, la double culture. Peut-on être la somme de plusieurs identités ? Comment additionner les cultures ? Doit-on être redevable à notre pays d’origine ou à celui qui nous a vus grandir ? 

Adolescent, Bendiman se rend au Tchad avec ses parents. Au sortir de l’aéroport, Bendiman est séparé d’eux. Ses parents ont été arrêtés pour raison d’Etat !

Commence la descente aux enfers de Bendiman. Eloigné de ses répères, projeté dans un pays à l’opposé de son environnement familier, Bendiman peu tchadien et beaucoup suisse va devoir user de tous les moyens que lui permet son âge pour retrouver ses parents. 

Bendiman tout au long de sa quête va rencontrer des personnages pittoresques notamment M’sieur Polycarpe, l’instituteur et son chapeau que chaque élève doit remplir chaque matin parce que « Toute peine mérite salaire »

Au petit bonheur la brousse nous plonge dans une république bananière. Bienvenue au Tchad où le président se soucie plus de ceux qui menacent sa longévité au pouvoir que des besoins de la population. On découvre un peu le processus de recrutement des rebelles. On ressent l’impuissance du peuple. J’ai eu beaucoup de peine pour Ben et sa famille.

Ce roman picaresque qui suscite l’intérêt de par les thèmes évoqués est très dense, tant au niveau de la forme que du fond. Le récit contient en effet diverses références historiques, géographiques, anthropologiques, sociétales qui constituent un lot d’informations à assimiler. Si les chapitres au nombre de 31 sont plutôt courts, les phrases de l’auteur sont très longues et le vocabulaire très littéraire. L’auteur étale son savoir. Le langage est très imagé. Parfois, les tournures de phrase sont agréables à lire, parfois lourdes à digérer. 

Malgré quelques petits bémols (j’ai par moment éprouvé de la lassitude en raison des temps morts dans les péripéties) Au petit bonheur la brousse réussit à offrir un sympathique moment de lecture.

Christmas

Éditeur : Hélice Hélas

Date de publication : Mars 2019

Nombre de pages : 376

Disponible aux formats broché, poche et numérique 

Roman présélectionné pour le Prix les Afriques 2020

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La sérénade d’Ibrahim Santos – Yamen Manai

Dans la bonne ville de Santa Clara, celle qui produit le meilleur rhum du pays, personne n’est au courant de la Révolution que le dictateur Alvaro Benitez a menée il y a une vingtaine d’années. Les habitants vivent et cultivent au gré des sérénades d’Ibrahim Santos, musicien météorologue. Alors forcément, l’intrusion des troupes armées révolutionnaires, et plus encore, l’arrivée d’un jeune ingénieur agronome brillantissime, vont quelque peu bousculer les habitudes…
Sur le mode du conte, avec une pincée de réalisme magique, Yamen Manai moque ici les prouesses de nos avancées technologiques et parodie allègrement ces dictatures modernes qui souvent perdurent.

mon-avis-de-lecture

De Yamen Manai, je ne connais que l’amas ardent qui est dans ma précieuse wishlist. Lorsque j’ai découvert la sérénade d’Ibrahim Santos dans My Book box, je n’ai pas tardé à l’acquérir. 

© My Book Box

 

A Santa Clara, on rencontre des personnages atypiques : Lia Carmen, la gitane qui lit l’avenir, Ibrahim Santos, le musicien météorologue qui indique le climat dans ses sérénades. 

La vie paisible à Santa Clara va être contrariée par les désirs du dictateur Alvaro Benitez qui espère contrôler la production du rhum de la ville. Sans grande surprise, il utilise les armes bien connues des dictateurs : l’instauration de la terreur, la violence et aussi les ambitions d’un jeune ingénieur dénommé Joaquin Calderon pour s’approprier leurs terres. 

On suit avec attrait la résistance des habitants de Santa Clara. 

Qu’il soit du côté des gentils ou des méchants, les personnages sont attachants. 

La sérénade d’Ibrahim Santos est un récit qui oscille entre comédie et tragédie, montre les limites des prouesses technologiques, les abus de la dictature. 

J’ai découvert avec plaisir le talent de conteur de Yamen Manai et sa maîtrise de la langue.

Le roman en version poche compte 42 chapitres qui s’étalent sur 238 pages. Les chapitres courts donnent du rythme à l’histoire.

Un amour interdit Alyssa Cole

– Que gagne un homme dans la vie, Ibrahim ? L’argent ? Le pouvoir ? 

Tout au long de sa vie, l’homme troque tout pour le souvenir. Il troque sa jeunesse pour des souvenirs de jeunesse. Il troque ses amours contre des souvenirs d’amour. Au bout du compte, il ne gagne de la vie que les souvenirs, c’est là son seul trésor. Alors pose-toi la question, Ibrahim. De quoi voudras-tu te rappeler, quand arrivera le moment de se souvenir ? 

« De la douceur de nos nuits et du goût de nos cannes, murmura-t-il. 

– Alors sauvegarde-les, et transmets-les. »

 

signature coeur graceminlibe

 

 

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TTL 60: La boucherie des amants de Gaetano Bolan

Qui dit jeudi, dit Throwback Thursday Livresque. Deux mois que je n’ai pas honoré ce rendez-vous car les thèmes ne m’inspiraient pas.

Cette semaine, le thème est : L’un de vos premiers livres

N’ayant pas envie d’évoquer l’un de mes premiers livres, j’ai modifié le thème qui devient Premier livre de l’auteur 

 

Gaetaño Bolán est né en 1969 à Arica, au Chili. Il voyage dans le monde entier, pose un temps ses valises en France. C’est là qu’il publie en 2005 son premier roman, « La Boucherie des amants«  qui va bénéficier d’un important bouche à oreille, et faire l’objet d’une adaptation théâtrale. Ce premier livre a été récompensé par plusieurs prix littéraires.

 

Couverture La boucherie des amants

Dans une ville du Chili oppressée par le régime de Pinochet, une boucherie de quartier est le théâtre de curieuses rencontres : des réunions obscures s’y tiennent, des passions s’y nouent… Un enfant aveugle, une institutrice et un boucher fort en gueule composent ainsi le trio majeur de cette fable teintée d’humour et de poésie. Mais derrière l’apparente naïveté s’esquisse une condamnation amère des régimes totalitaires…

 

Mon avis de lecture

Juan est boucher dans une petite ville du Chili. Il élève seul son fils, Tomaseo, surnommé Tom et aveugle de naissance. Tom fréquente une école spécialisée qui accueille les enfants qui souffrent d’un handicap. Il aime beaucoup Dolores, son institutrice et il aimerait beaucoup qu’elle devienne sa maman.

On s’imagine alors une tendre histoire d’amour, une famille qui se compose mais le destin de Juan est autre. Juan n’est pas un simple boucher, il préside un petit groupe de révolutionnaires qui s’oppose au régime totalitaire. 

Les disparitions, soudaines et brutales, étaient depuis quelque temps devenues un exercice national. Disparus les camarades du Parti. Disparus les camarades qui préféraient le rouge au noir. Disparus les camarades de deuil. Disparues les affiches. Disparues les consciences d’hommes et de femmes qui eussent préféré se trancher la gorge plutôt que céder à l’oppresseur.

 

La boucherie des amants est un petit roman de 90 pages (en version poche) qui se lit rapidement. Des personnages intéressants, une révolution étouffée… L’auteur évoque brièvement la dictature politique au Chili, j’ai été très émue par le dénouement.

 

Quel livre auriez-vous proposé pour ce thème ?

 

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Ubu Roi – Alfred Jarry

Poussé par son ignoble épouse, le Père Ubu renverse le roi de Pologne, son bienfaiteur, et massacre sa famille et les nobles du royaume. Désormais « roi de Pologne et d’Aragon », « maître des Phynances » et « docteur en pataphysique », il étale la couardise, l’avidité et la vulgarité qui feront de lui le modèle de l’usurpateur totalitaire.

 

mon-avis-de-lecture

Afin de boucler ma visite touristique du challenge Tara Duncan sur Livraddict, je devais lire un livre dont la première lettre du titre (hors déterminant) OU la première lettre du nom de famille de l’auteur commence par U.

N’ayant aucun livre de ma PAL correspondant à ce critère, j’ai pioché dans les lectures des autres participantes au challenge et suis tombée sur Ubu Roi, pièce de théâtre de moins de 100 pages en version eBook. Que demander de plus ?

Cette pièce de théâtre est un drame en cinq actes où l’on rencontre divers personnages :

  • Père Ubu,
  • Mère Ubu
  • Capitaine Bordure
  • Le roi Venceslas
  • La reine rosemonde
  • Les fils du roi : Boleslas, Ladislas et bougrelas
  • L’empereur Alexis
  • Des Nobles, des financiers, des paysans et bien d’autres. 

 

Père Ubu et sa femme, deux spécimens qui malheureusement ne sont pas en voie d’extinction.

Père Ubu est lâche, traître, naïf, bête, gros, goinfre et méchant. Il incarne à lui seul tous les vices les plus primaires et symbolise la cupidité des pouvoirs politiques, l’absurdité de vouloir toujours tout.

Mère Ubu est une manipulatrice, assoiffée de pouvoir qui m’a rappelé toutes ces femmes de président africains actuels qui poussent leurs maris à s’accrocher au pouvoir.

Cette satire de la société d’hier mais aussi d’aujourd’hui met de bonne humeur. Qu’est-ce que j’ai ri, les amis !  Les répliques sont cinglantes et hilarantes.

Mère Ubu: –Comme il est beau avec son casque et sa cuirasse, on dirait une citrouille armée.

 

Père Ubu : Allons, tais-toi, bouffresque. Nous allons maintenant, messieurs, procéder aux finances.

Financiers: –Il n’y a rien à changer.

Père Ubu: –Comment, je veux tout changer, moi. D’abord je veux garder pour moi la moitié des impôts.

Financiers: –Pas gêné.

Père Ubu: –Messieurs, nous établirons un impôt de dix pour cent sur la propriété, un autre sur le commerce et l’industrie, et un troisième sur les mariages et un quatrième sur les décès, de quinze francs chacun.

 

Mère Ubu: –Point du tout. L’impôt sur les mariages n’a encore produit que 11 sous, et encore le Père Ubu poursuit les gens partout pour les forcer à se marier.

 

Cette pièce est à lire entre deux pavés, aux moments où on est sous pression. En tant que médecin littéraire, je la prescris pour tous les jours sombres. Bonne humeur assurée ! 

 

Avez-vous déjà lu des pièces de théâtre qui ont failli vous faire mourir de rire ?

 

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La danse de Pilar – Charline Effah

La danse de pilar c’est le récit d’une tragédie familiale dans les années 80 narré par le fils aîné Paterne. Les parents, Pilar et Salomon, courent après l’ambition, le pouvoir. Ils ont installé dans leur quotidien familial le climat politique fait de mensonges, trahisons et coups bas.

Toutes les histoires familiales du monde ont les fesses entre deux chaises : l’amour et la haine.

Pilar est la cheftaine d’un groupe de danseuses, les lewai dancers qui se trémoussent lors des événements initiés par le président du Nlam, un pays imaginaire qui ressemble au Gabon. On ressent bien l’atmosphère, la culture du pays même s’il n’est pas mentionné.

Pilar est une manipulatrice, elle nourrit les haines, sème la zizanie entre frères. J’ai été choquée par sa conception de la vie.

 

Ce roman relate l’histoire d’une nation où un dictateur fait sa loi, chosifie le peuple, le manipule. Ce peuple naïf, soumis se nourrit des fausses promesses, court après le vent, semble résigné, fatigué de lutter pour le respect de ces droits.

La danse de Pilar met à nu la décadence de la société.

[…] où vous rencontriez hommes et femmes, vieillards et enfants, et constituez des groupes de danseurs qui se déhanchaient sous des mélodies faisant toutes allégeance au Grand Camarade et à sa politique. Et hommes, femmes et enfants se déhanchaient. Pour tout et pour rien. Surtout pour rien. Pour les écoles qui ne seront jamais construites partout, pour les premières pierres posées gisantes entre les hautes herbes, pour les voies ferroviaires qui ne relieront pas le sud et le nord du pays, pour les routes à moitié goudronnées, pour les nids-de-poule, pour les oppositions allégoriques et cette démocratie qui leur passait sous le nez en plein jour. Se déhanchaient sous le soleil. Se déhanchaient sous la pluie. Se déhanchaient dans la poussière. Se déhanchaient affamés. Solokoto ! Se déhanchaient inquiets des lendemains. Solokoto ! Se déhanchaient sans pouvoir joindre les deux bouts. Solokoto ! Se déhanchaient en ayant peur. Solokoto ! Se déhanchaient parce qu’ils n’avaient que ça à faire. Onduler les reins. Tourner les fesses au cours de soirées qui se terminaient en érections collectives, en palpations mammaires généralisées, en rires écumeux, en tapes suggestives.

 

 

Ils vous disent de voter pour eux. En contrepartie ils vous offrent quoi ? Des sacs de riz et des kilos de dindon. Ils vous demandent de participer à leurs meetings politiques. De vous y entasser comme des sardines dans une boîte. En contrepartie ils vous donnent quoi ? Des tee-shirts et casquettes à leur effigie. Demandez-leur des hôpitaux et des écoles et ils vous dérouleront une liste infinie de promesses. Que ceux qui ne croient plus au père Noël entendent !

 

Ce roman est un plaidoyer pour un changement de paradigme de la démocratie en Afrique.

 

Charline Effah m’a fait découvrir le mouvement des danseuses utilisées à des fins politiques en Afrique Centrale. N’étant pas originaire de l’Afrique Centrale, je suis légèrement restée sur ma faim. J’aurais voulu que l’organisation de ce mouvement, son origine, ses actions soient plus développées.

L’écriture de Charline est belle, poétique à souhait. Le registre soutenu qu’elle utilise n’est pas pédant. Sa maîtrise de la langue française me fait penser à Marie Ndiaye.

La danse de Pilar est un petit roman qui se lit très vite. A glisser dans les PAL de la jeune génération et amoureux des belles lettres.

Pour en savoir plus sur le roman, cliquez ICI

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Le meilleur reste à venir de Sefi Atta

 

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Enitan et Sheri sont deux jeunes filles en rupture contre l’ordre et le désordre d’un Nigeria à peine sorti de la guerre du Biafra, un pays où se succèdent coups d’état militaires et régimes dictatoriaux. Deux jeunes filles puis deux femmes qui, du début des années 1970 au milieu des années 1990, veulent échapper à l’enfermement d’une société oppressive et machiste. Sheri, belle et effrontée mais blessée à jamais choisira l’exubérance et la provocation. Enitan tentera de trouver son chemin entre la dérive mystique de sa mère, l’emprisonnement de son père, sa carrière de juriste et le mariage lui imposant, en tant que femme, contraintes et contradictions. Et c’est à travers la voix de ce personnage inoubliable que Sefi Atta compose ici un roman initiatique d’une remarquable puissance, un livre dans lequel le destin personnel dépasse le contexte historique et politique du Nigeria pour se déployer dans le sensible jusqu’au cœur même de l’identité et de l’ambiguïté féminines.

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Les parents d’Enitan n’ont pas facilité son engouement pour le mariage. Des parents qui se disputent tout le temps, demandent à leur enfant d’une dizaine d’années de se ranger de leurs côtés, qu’est-ce que ça doit être éprouvant pour un enfant !

Enitan vit tant bien que mal dans cet environnement, la nature lui donne une aide, une bouée de sauvetage : Sheri. Une fille très belle qui fait plus grande que son âge, très drôle aussi qui vit dans un foyer polygame où les femmes s’entendent plutôt bien avec leur mari. 

Toute l’attention du lecteur se porte sur l’amitié entre ces deux jeunes filles et les atmosphères différentes de leurs maisons. A la pointe de l’adolescence, la vie de Sheri prend un mauvais tournant, la jeune fille devient brutalement femme puis une « moitié de femme« , incapable de devenir mère. 

Enitan part à Londres. De retour au pays, elle fait son service civique, fait une première rencontre avec l’amour qui se solde par un échec. Elle ose une deuxième rencontre avec l’amour et finit par se marier.

Son amie Sheri, reine de beauté, refait surface. Sa vie a complètement changé. Son père mort, la famille de celui-ci les spolie. Sheri et sa famille se battent pour subvenir à leurs besoins. La première action de son guide de survie : se faire entretenir par un « sugar daddy » polygame.

 

Ne te fais d’illusion sur personne. Et prie pour ne jamais te trouver dans une situation où tu as besoin des autres. C’est là que tu vois vraiment combien ça fait, deux plus deux.

 

En partant, je me dis soudain que j’étais heureuse de ne pas être belle. La beauté d’une femme incitait parfois les gens à la traiter comme une poupée; ils jouaient avec, ils la trimbalaient, la tripotaient, la démembraient, puis s’en débarrassaient. La beauté pouvait aussi rendre une femme paresseuse, si elle était trop souvent félicitée et trop longtemps rémunérée pour ça.

 

Les deux amies de longue date se retrouvent, s’épaulent face aux divers tremblements qui vont secouer leurs vies. Il y a eu une mutation dans leurs caractères. Sheri est devenue réservée, Enitan est devenue la rebelle. Rebelle à la soumission qu’une femme doit à son mari. Enitan n’est pas un as de la cuisine comme Sheri, elle voudrait un partage des tâches domestiques dans son foyer mais son mari et sa belle-mère ne l’entendent pas de cette oreille.

Enitan aimerait pouvoir dire haut et fort ce qui la contrarie mais c’est chose presqu’interdite dans une société où la femme a vocation à se taire. Elle aimerait que les femmes s’intéressent plus aux questions sociétales, que leurs yeux voient bien au-delà de leurs foyers, qu’elles expriment leurs opinions, prennent part à la tribune politique.

Une politique bancale où les élus cupides ne pensent qu’à leurs ventres, usent et abusent de leurs pouvoirs pour brimer ceux qui se révoltent, osent dire non à leurs débordements.  

Ce récit initiatique expose la politique dictatoriale en Afrique, la complexité des rapports homme-femme. Il questionne sur le choix de la polygamie / monogamie, le poids de la belle-famille dans un foyer, le rôle de la femme dans la société, notre rapport à la beauté. 

J’ai eu quelques moments de lassitude, l’impression de tourner en rond mais je ne regrette pas d’avoir effectué ce voyage au Nigéria. Les notes d’humour présentes dans ce roman y sont beaucoup pour quelque chose.

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  • Broché : 429 pages
  • Editeur : Actes Sud
  • Date de parution : 5 janvier 2009
  • Collection : Lettres africaines
  • Traduit de l’anglais par : Charlotte Woillez

 

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Madame la Présidente

A l’échéance du mandat présidentiel fixé à huit ans non renouvelables, le Président Simakan, Président de la République imaginaire de Louma, se retire du pouvoir conformément à la Constitution de son pays. Pour lui succéder, quarante candidats entrent en lice, dont une femme, Fitina. Grande première dans la République de Louma, cette candidature suscite l’espoir chez les uns et le doute chez les autres. 

L’auteure, Fatou Fanny-Cissé, propose une « critique de la démocratie à la sauce tropicale » riche en rebondissements, enrobée de fantastique, pleine de suspense et d’humour. Les thèmes qui parcourent le roman sont d’une grande actualité et se présentent comme un condensé de maux de plusieurs pays mis ensemble. 

Mme la presidente

J’ai acheté le livre parce que je m’attendais à lire le combat d’une femme contre tous les préjugés que l’on colle aux femmes qui ont de l’ambition, une histoire féministe dans le bon sens du terme d’où je ressortirais grandie et inspirée, hélas…

Fitina a brisé toutes mes attentes.

Elle n’était pas destinée à être présidente mais force le destin en usant de magie noire, bâtit son accession au pouvoir en versant le sang d’innocents.

A la tête de la République imaginaire de Louma, elle a agi en véritable despote, tuant comme on mange, réduisant au silence tous ceux qui pointent du doigt son diktat.

J’ai été choquée par son manque d’humanité, de sensibilité. (Je suis toujours choquée lorsque qu’une femme a un cœur de pierre.)

« En ouvrant la valisette, Fitina eut un vif mouvement de répulsion car elle reconnut la tête d’un célèbre chanteur albinos de la République de Louma. Elle se reprit bien vite car le Pouvoir, le Pouvoir d’Etat ne s’embarrasse ni de sentimentalisme ni d’état d’âme. »

La déception a accompagné le choc. Plusieurs tentatives d’assassinat ont eu lieu contre cette femme au cœur de pierre mais aucune d’elles n’a abouti ! Fitina est très bien protégée par ses fétiches, Fitina est invincible !

A chaque échec, mon cœur se serrait. J’avais peur pour ceux qui avaient tenté de tuer Fitina.

Elle ne se contenterait pas de les punir,

Elle ferait son possible pour les anéantir…

Le très long règne de Fitina m’a terriblement ennuyée.

La fin du roman rétablit la justice et apaise le cœur mais le canal fantastique que l’auteur a emprunté pour le dénouement m’a gênée. Il n’a pas su me faire oublier que j’étais dans une fiction…

A part ces petits bémols, Madame la Présidente est une histoire bien écrite, assez sympathique à lire avec ces petits proverbes à la sauce tropicale.

Qui a dit que l’argent n’a pas d’odeur ? Il faut dire qu’à partir d’un certain montant, il sent délicieusement bon, pensait-il à cet instant précis.

Bon lundi de pâques ! Pour vous aider à digérer, je vous propose de résoudre ces deux  énigmes contenues dans le roman  :

  • Quel animal vient au monde en tuant sa génitrice ?
  • Quels animaux tuent leur mâle après l’accouchement ?
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Drôle de printemps suivi de miniatures

Drôle de printemps

D’une séquence à l’autre, l’auteur nous plonge dans le « printemps arabe » avec ses espoirs, ses enjeux, ses dérives et ses folies. Dans un mélange de réalisme, d’humour, de dérision et de fantaisie, Youssouf Amine Elalamy raconte, dans son style bien à lui, les révolutions qui ont bouleversé le monde arabe. 

La révolution était en marche. A la télé, on avait annoncé 200 mille personnes pour la manif de vendredi. Un homme y va pour vérifier si la télé dit vrai. Il y trouve beaucoup de monde mais pas de révolution. Les 200 mille personnes étaient-elles vraiment venues pour faire une révolution ? N’étaient-elles pas venues vérifier si la télé disait vrai et s’il y aurait effectivement 200 mille personnes à la marche ?

Et ce pauvre gars qui répétait toujours le même mot : »rêve, rêve, rêve… » Savait-il pourquoi il était là ?

Ce pauvre gars nous explique à la deuxième séquence du livre pourquoi il répétait ce mot. Le ton frais avec lequel il s’exprime nous fait esquisser un sourire, ce sourire se mue en rire au fur et à mesure que l’on avance dans les séquences.

Drôle de printemps c’est 330 micro-récits, des récits quelquefois liés (la séquence suivante est une réplique à la séquence précédente), très souvent dissociés.

Les gens du peuple, les forces de l’ordre, le Leader politique à qui le peuple crie: « Dégage », s’expriment tour à tour et dévoilent leurs fantasmes, leurs frustrations.

Les personnages qui se succèdent dans ces récits sont loufoques, un peu schizophrènes sur les bords. Jugez-en par vous-même :

Tous les jours, je fais la tournée des librairies et je leur prends un exemplaire de mon livre comme ça mon éditeur ne pourra pas dire que c’est un bide. Heureusement qu’on n’a pas publié ma photo sur la 4ème de couverture. Les vendeuses m’auraient reconnu sinon.

Ce n’est pas parce qu’on est barbu qu’on est castré. Si Dieu avait voulu qu’on s’abstienne de regarder les femmes, il nous aurait fait pousser la barbe sur les yeux. Et puis il n’ y a pas que les hommes qui ont de la barbe. Les femmes la portent ailleurs, c’est tout.

Que Dieu bénisse Apple, Blackberry, Samsung, Nokia et tous les smart phones de la Terre. Aujourd’hui, avec une bonne charge d’explosifs et un téléphone portable qu’on actionne à distance, chacun de nos hommes est une bombe à distance, chacun de nos hommes est une bombe à usage illimité. On n’arrête pas le progrès.

A mon arrivée là-haut, personne ne savait où me caser. Mon coeur méritait le paradis, mon appareil génital l’Enfer et d’autres morceaux le Barzakh. A la fin, il a fallu recourir à l’arbitrage de Dieu en personne.

Pour ma carrière de pick-pocket, je ne pouvais pas espérer mieux. Avec ce voile intégral, ils me prennent tous pour une femme. J’ai fait coudre plein de poches à l’intérieur pour le rangement. Des grandes pour les Galaxy Note, des plus petites pour les i-phone.

99% ? Quand on me l’avait annoncé, je n’arrivais pas à y croire. Pas la peine d’être voyant pour voir qu’on avait truqué les résultats. J’avais donné mes ordres pour qu’on me retrouve les 1% et qu’on me les ramène tous ici, les poings liés.

Le désir de révolution ne se ressent pas seulement au niveau politique, il se ressent à l’intérieur de la cellule familiale, dans les rapport homme-femme.

L’abus, la duperie n’ont pas que pour cadre le domaine politique, ils existent également à l’échelle le plus bas de la société.

J’ai apprécié ce livre pour sa fraîcheur, pour les éclats de rire qui effacent les éclats d’obus. Avec ce livre, on imagine ce qui a dû se passer dans les foyers arabes lors de la révolution, tous les non-dits… J’ai apprécié voir le printemps arabe sous cet angle.

Les séquences sont assez courtes  mais on est un peu perdu quand elles sont dissociées.

Beaucoup de séquences tournent autour du sexe, cet aspect m’a un peu gênée.

L’auteur à travers ces micro-récits nous rappelle ceci : il vaut mieux en rire qu’en pleurer…

 

 

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Miniatures 

« Miniatures » est un recueil de  cinquante portraits dont les histoires se recoupent et forment une fresque de la société marocaine contemporaine. De la petite bonne à tout faire au golden boy de la bourse de Casablanca, du cyberdragueur au professeur intégriste religieux, les personnages miniatures dessinés par Youssouf Amine Elalamy se racontent…

Ils nous exposent des fragments de leur vie et nous laissent y lire leur pauvreté, leur dépit, leur foi, leur compassion théorique, leur fatalité…

Leurs points de vue et attitudes sont souvent hilarants. Prenez pour exemple cet homme qui pense que les techniques de reproduction que sont les pratiques sexuelles en multipliant les exemplaires à volonté, remplacent une oeuvre unique, exclusive, par un phénomène de masse ou encore cette femme qui ne mange plus rien (viande ou céréale) parce qu’étant mère, il est inconcevable pour elle de manger les enfants des autres.

[…] Marcel a perdu, en l’espace d’un mois, son père, puis son fils Aimé. Depuis, Marcel, qui n’a pas perdu la foi pour autant, ne se signe plus qu’Au nom du Saint Esprit.

 

A la maison, son père n’a d’yeux que pour  sa sœur, sa sœur n’a d’yeux que pour son frère, son frère n’a d’yeux que pour sa mère, sa mère n’a d’yeux que pour lui qui n’a plus d’yeux du tout. Une chance que la balle qui l’a touché ne l’ait pas tué.

Il y a du rire dans « Miniatures » mais aussi des larmes. Comme dans la vraie vie, tout n’est pas rose…

Publié dans Arrêt sur une oeuvre

Horreur au palais

Des pans du mur arrachés par la charge trop forte écrasèrent au sol deux silhouettes méconnaissables. D’autres détalèrent comme des lapins effrayés… C’est le sauve qui peut. La voix de Galaxie cria :  » Aïcha, Michaël… éloignez-vous ! « 

« C’est fait commissaire. Nous sommes derrière toi. » Lui répondit l’inspecteur Aïcha. Les flammes semblent vouloir dévorer tous les environs. Le palais se réveilla aussitôt dans une panique générale. Les cris fusent de partout. Au-dessus du jardin de style anglais, un feu d’artifice laissa apparaître deux mots :  » Le Fantôme ». Au loin, on entend les sirènes des sapeurs pompiers se rapprochant petit à petit de l’Horreur au palais.

Horreur au palais est un coup de gueule lancé par l’auteur aux dirigeants africains qui seraient encore tentés, en ce troisième millénaire, de muter leur République en monarchie : une fiction policière poignante, un régal de suspens qui transportent le lecteur à travers l’Afrique et les Caraïbes.

Horreur au palais

  • une belle couverture,
  • un titre accrocheur,
  • un résumé intriguant.

3 critères très importants dans la sélection d’un livre  auxquels Horreur au palais répond.

La citation qui sert de prélude au chapitre 1 :

« Ce soir une note pleureuse est suspendue entre nous deux » Birago Diop

et le ton doux et léger qu’utilise le narrateur nous installent délicatement dans le décor de cette fiction policière.

En quelques lignes, le narrateur décrit la situation du Galan (pays imaginaire qui ressemble fort bien à un pays d’Afrique de l’ouest) en saison des pluies : d’un côté se trouvent les nantis qui savourent la  vie, de l’autre les défavorisés qui souffrent le martyre. Sur ces deux classes que l’argent oppose règne un dictateur, un homme beaucoup plus craint qu’adulé.

Selon lui le sens d’un pouvoir est dans la peur qu’inspire son chef à ses populations.

Un soir de pluie, la peur change de camp…

Alkali, Le « fils héritier » du Président est assassiné à l’intérieur du Palais Présidentiel.

Le gouvernement est convoqué au Palais sans que le Président ne l’ait décidé. Des proches du président sont enlevés. Une main fantôme plane sur le palais, agit comme bon lui semble et ose lancer un ultimatum au Président : avouer en public le crime qu’il a commis contre l’illustre président de la Cour supérieure de Justice sinon ça sera l’apocalypse…. Toutes les douze heures, le président découvrira une nouvelle face de l’horreur s’il n’obtempère pas.

Elle va arriver, la démence. Et, que de morts avant que la raison revienne. Que de morts ! Nabile Farès

Les inspecteurs Aïcha et Michael de la Brigade Générale du Crime sont chargés de démasquer la main fantôme avant les 12 prochaines heures.

Ils nous associent à leur course contre la montre. Revêtue de l’étoffe des inspecteurs, j’ai tenté  de résoudre les mystères posés ça et là par la main Fantôme.  J’ai eu envie de découvrir son identité, de devancer ses plans et de les déjouer.

Ce roman sollicite beaucoup notre capacité de réflexion, on se croirait dans un jeu d’échecs. L’action y est très présente, les instants de répit sont très brefs.

La pièce maîtresse du jeu est dévoilée petit à petit ce qui rend crescendo l’effet de surprise.

L’auteur a pris soin d’incorporer à sa recette quelques notes tendres, les romantiques s’en enivreront.

J’ai apprécié la différence des personnalités des personnages. Le président pour son côté arrogant, Aïcha pour sa finesse d’esprit, Michaël pour sa rigueur et son humilité.

La personnalité de Célia m’a beaucoup dérangée, je parle notamment de ses penchants sexuels.

La fin de l’histoire  a un goût d' »happy end » et d’inachevé :

——- Je n’ai pas apprécié le « happy end », je ne suis pas trop fan des morts qui ressuscitent. (enfin ça dépend du mort :D) J’aurais aimé lire une tournure différente de celle proposée par l’auteur.

 ++++++++ J’ai beaucoup aimé le goût d’inachevé. Les plans de la main Fantôme ont été déjoués mais elle n’a pas été démasquée. Aux dernières lignes du livre, elle montre qu’elle n’a pas fini d’opérer…

C’est le premier roman policier africain que je lis et je n’ai pas été déçue. J’espère qu’il en sera de même pour vous.

Quel roman policier vous a marqué ?