En observateur attentif et avisé du spectacle du monde, Camara Nangala, dans les quatre nouvelles, met en exergue son art consommé de la narration, son sens de l’humour et son goût pour la beauté du langage. Chaque nouvelle est construite de façon méthodique et maîtrisée. L’auteur entraîne le lecteur dans des méandres dont lui seul a le secret. Il fait subtilement de lui un complice, voire un acteur de l’intrigue. Puis vient le point de chute de la manière la plus inattendue, soulevant inévitablement une foule de questions chez le lecteur.

Camara Nangala est un auteur ivoirien que j’ai découvert à l’école primaire. Son roman « le cahier noir », une histoire bien triste qui relate la maltraitance de deux enfants par leur belle-mère m’avait énormément touchée.
Au secondaire, j’ai lu d’autres œuvres de l’auteur. Je ne me rappelle malheureusement plus de leurs titres et contenus mais je garde en mémoire de bons moments de lecture.
Ces bons moments, j’ai voulu les revivre en lisant «Symphonies de l’enfer», un recueil de 4 nouvelles. Y suis-je parvenue ?
Oui mais… Je n’ai pas intégralement trouvé dans ma lecture ce que la quatrième de couverture promettait. J’ai trouvé l’art de la narration, la beauté du langage, l’humour dans la 4ème nouvelle mais pas l’inattendu du point de chute, la surprise.
Ne restons pas à la surface du livre. Découvrons le contenu des nouvelles par ordre de préférence croissant (du moins apprécié au plus apprécié) :
Instinct atavique écrit en 1983
Le Syndicat des Mineurs Noirs en Afrique du Sud tiendra son ultime meeting, en vue du mot d’ordre de grève générale. La police et l’armée seront immanquablement au rendez-vous. Oswald aussi.
Sa fille Gladys, jeune étudiante, est sous le choc, ne comprend pas pourquoi son père fait partie de la soldatesque des tenants de l’apartheid, accepte de matraquer et de tirer sur des êtres humains, ses semblables, ses frères de race, dont le seul crime est de réclamer leur droit imprescriptible à la liberté. Elle ne comprend pas pourquoi des Noirs massacrent d’autres Noirs pour le compte des Blancs.
Elle use de stratagèmes pour empêcher son père de se rendre à l’esplanade de la mine sans succès. Il s’y rend et comme ses collègues ouvre le feu sur la foule. Le père de Wilfried, un ami de classe de Gladys se trouvait dans la foule et a été assassiné…
J’ai apprécié le contexte historique de cette nouvelle, je pense que l’apartheid comme toutes les autres luttes du peuple Noir pour accéder à la liberté ne devraient pas être oubliées.
J’ai apprécié le courage dont a usé Gladys pour défier son père mais je n’ai pas approuvé ce qu’elle a fait de leur relation (je le dis en ces termes pour qu’il vous reste une part de mystère dans l’histoire 🙂 )
La maxime «Œil pour œil, dent pour dent » a été observée et c’est ce qui m’a dérangée dans cette histoire.
L’histoire d’amour entre Gladys et Wilfried m’a également dérangée parce qu’elle n’a pas conduit à quelque chose de constructif.
En lisant la fin de l’histoire, on est tenté de dire que le sang n’arrêtera jamais de couler. On n’arrêtera jamais de tuer …
Rififi sur la bande F.M, écrit en 1999
Bientôt, l’entrée dans le 3ème millénaire. Kobenan surfe sur le fluide des fréquences modulées, découvre une station de radiodiffusion : Radio Trouble-Fête. L’animateur de ladite radio fait l’éloge du zouglou (style musical ivoirien), le présente comme un instrument de prise de conscience.
Le Zouglou est la parole des sans-grades, la parole des sans-voix. Le Zouglou est la pâte qui gonfle, gonfle, gonfle encore sous l’effet de la levure que constituent injustices sociales et frustrations.
Il incite ses auditeurs à laisser fleurir la conscience morale, l’éthique, à se révolter contre les brigands semi-cultivés qui président aux destinées de leur pays.
Kobenan est sous le charme de cet éveilleur de conscience qui n’est autre que Romuald dont la mère se servait de sa grande beauté pour être à l’abri du manque financier jusqu’au jour terrible de son accident qui la condamna à être en chaise roulante. Son nouvel état fit fuir tous ses prétendants, le père de Romuald, Ministre de l’Agriculture à l’époque, y compris.
Les propos de Romuald dérangent fortement le gouvernement en place. Son activisme est brutalement mis à terme. L’annonce est faite au journal télévisé par le Ministre de l’Intérieur qui n’est que …. (à vous de le découvrir dans votre lecture)
J’ai apprécié la poésie qui émanait de cette nouvelle et l’évolution humaine de Romuald mais j’aurais préféré une chute plus époustouflante.
Au fil du flot de sang de Soweto, écrit en 1979
N’kosinati raconte l’apocalypse de son village, le village noir de Rietfontein orchestré par la soldatesque des tenants de l’apartheid.
J’ai redécouvert à travers cette nouvelle le monstrueux système de l’apartheid. Cette nouvelle est pleine d’émotion et de proverbes africains. J’ai apprécié la tristesse qui se lit et se vit dans cette histoire. J’ai également apprécié ses notes poétiques.
La voix de N’kosinati devient plus puissante, plus poignante, plus bouleversante. Et s’élèvent de la gargote de tante Maggy les voix enflées de l’assistance ; les voix grosses du bonheur en devenir. Et scintillent sur les visages les larmes, intempérie qui précède le beau temps ; les larmes qui dissolvent la peur, l’angoisse et la tétanisation ; les larmes qui donnent l’élan vital à la révolte.
Va l’esprit foudroyant de Chaka
Puis il revient
Comme bulle d’air soufflée
Par la mer écumeuse
Va la voix de Biko
Puis elle revient
Amplifier le sac et le ressac
Du tourbillon des jours d’émeute
Va le regard de Moloïse
Puis il revient
Eclairer le flux et le reflux
De la vague des agitations.
Symphonies de l’enfer, écrit en 1999
Un homme vient tout juste de sortir de prison dans laquelle il a passé 10 ans. Si c’était à refaire, il referait exactement ce pourquoi il a été injustement jeté au trou pour 10 ans.
Sur une note pleine d’humour, il nous raconte ce qu’il a fait depuis sa sortie de prison et ce qui l’y a conduit.
On découvre un homme qui s’est laissé conduire par le destin auquel il croit, un homme dont la quiétude a été brisée par de terribles symphonies : des vendeurs de CD aux églises de réveil en passant par la gérante de maquis.
Ces symphonies créent un vacarme aussi bien extérieur qu’intérieur, un vacarme qui va le pousser à commettre l’irréparable.
J’ai beaucoup ri grâce à cette nouvelle. J’ai aimé son côté vivant, le style détaché du narrateur. J’ai d’ailleurs bien aimé sa personnalité, son côté responsable, bon père de famille qui pense toujours au bien-être de sa famille.
Ces quatre nouvelles ont bien un thème en commun : l’égocentrisme.
Quelle histoire lue sur l’Apartheid vous a le plus touché ?
A quelle nouvelle lue donneriez-vous le titre de meilleure histoire comique ?