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TTL 94 : épouses et concubines de Su Tong

Qui dit jeudi, dit Throwback Thursday Livresque. Cette semaine, le thème est: culture

J’ai immédiatement pensé à ce livre qui fait écho à un fait culturel : la polygamie.

Couverture Épouses et concubines

La Chine du Nord, dans les années 20. Songlian, belle étudiante de dix-neuf ans dont la famille est ruinée, accepte de devenir la quatrième épouse du riche Chen Zuoqian. Dans le huis-clos de sa nouvelle demeure, une seule loi, la séduction : la favorite de la nuit régente, le jour, la vie de la maison. Songlian, l’indépendante, sera-t-elle victime ou complice du système féodal qui commande en ces lieux ? Passion, possession, et pouvoir colorent de feu et de sang ce ballet de charmes, où les quatre épouses et concubines se livrent une danse à mort pour le plaisir du maître.

Dans ma contrée, la polygamie n’est pas un fait inédit. C’est un fait courant dans nos sociétés et une thématique très exploitée en littérature. On a le droit de ne pas l’approuver mais aussi le devoir de ne pas mépriser ceux qui la pratiquent parce qu’ancrée dans leurs mœurs et cultures.

Personnellement, ça ne cadre pas avec mes convictions spirituelles comme d’autres modes de vie mais je me dois d’avoir du respect pour la culture des autres.

Bien ! Revenons à notre livre. Lire cette thématique du côté de l’Asie et en particulier en Chine dans les années 20, c’est nouveau pour moi.

Elles s’appellent Yuru, Zhuoyun, Meishan et sont respectivement les 1ere, 2e et 3e épouses de Chen Zuoqian. A 50 ans, ce dernier prend Songlian pour 4e épouse.

Songlian n’a que 19 ans. A la mort de son père, sa belle-mère lui a indiqué qu’il fallait choisir entre travailler ou se marier. Songlian a choisi de se marier et avec un homme d’une famille riche. Sa belle-mère lui a bien signifié que cela voudrait dire qu’elle serait une « petite » épouse, une concubine, mais de ce titre un peu moins glorieux, Songlian s’en moque comme de l’an quarante. Elle veut juste trouver un bon parti.

Dans ce foyer, elle va découvrir toute l’hypocrisie conjugale, le jeu de séduction et de pouvoir. Aimer est un art, tromper aussi…

J’ai trouvé les profils psychologiques des femmes très intéressants. Yuru est l’effacée. Zhuoyun, l’épouse conciliante et Meishan, la rebelle. Sa perfidie la rend autant intéressante qu’agaçante. Songlian, quant à elle, cherche à marquer son territoire dans cet environnement d’un lion pour 4 lionnes.

L’histoire est courte et intéressante. La fin révèle que dans de nombreux cas la polygamie a une issue dramatique pour au moins une des épouses ou leurs enfants.

Ai-je un reproche à faire au roman ? J’aurais aimé qu’il y ait encore plus de coups tordus entre les co-épouses. 😀

Dans le cadre d’un challenge Livraddict, j’en ai profité pour regarder l’adaptation cinématographique que j’ai appréciée. Le rouge est omniprésent. N’est-ce pas la couleur du désir, de la passion, du pouvoir ? On ressent cette hypocrisie entre les co-épouses, elles ne nous épargnent pas leurs mesquineries. Dans le film, le rituel suivi par le maître pour choisir celle avec qui il passera la nuit est bien décrit.

Quelques scènes ont été modifiées et cela nous permet de voir les personnages notamment la seconde épouse d’un autre œil. La relation entre le maître et l’une des servantes est d’ailleurs plus détaillée que dans le livre et dévoile l’inarrêtable appétit sexuel de l’homme.

Quel livre auriez-vous proposé pour ce thème ?

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L’accordeur de silences – Mia Couto

« La première fois que j’ai vu une femme j’avais onze ans et je me suis trouvé soudainement si désarmé que j’ai fondu en larmes. Je vivais dans un désert habité uniquement par cinq hommes. Mon père avait donné un nom à ce coin perdu: Jesusalèm. C’était cette terre-là où Jésus devrait se décrucifier. Et point, final.
Mon vieux, Silvestre Vitalicio, nous avait expliqué que c’en était fini du monde et que nous étions les derniers survivants. Après l’horizon ne figuraient plus que les territoires sans vie qu’il appelait vaguement l’Autre-Côté. »
Dans la réserve de chasse isolée, au cœur d’un Mozambique dévasté par les guerres, le monde de Mwanito, l’accordeur de silences, né pour se taire, va voler en éclats avec l’arrivée d’une femme inconnue qui mettra Silvestre, le maître de ce monde désolé, en face de sa culpabilité.
Mia Couto, admirateur du Brésilien Guimares Rosa, tire de la langue du Mozambique, belle, tragique, drôle, énigmatique, tout son pouvoir de création d’un univers littéraire plein d’invention, de poésie et d’ironie.

Trois grands livres forment la charpente du roman. Dans la première partie, Mwanito, le narrateur, présente ce qui fait son monde. A 11 ans, il vit dans un désert habité uniquement par cinq hommes. Son humanité n’est composée que de son père Silvestre, son frère Ntunzi, Zacaria, le militaire et son oncle Aproximado qui leur rend visite de temps en temps. Mwanito présente chaque membre de son humanité dans les premiers chapitres. Au début, on rit de l’étrangeté du père qui vit replié sur lui-même, oublieux de son passé puis on est assez choqué de son extravagance et de l’affection qu’il accorde à son ânesse.

J’ai ressenti de la lassitude due à la lenteur du rythme jusqu’à l’apparition de Marta. La venue de cette femme portugaise va provoquer des remous dans la vie des habitants du désert. A travers elle, c’est la thématique de la condition féminine qui est introduite.

La profondeur de l’histoire s’accentue au fil des pages, les révélations au dernier livre éclaircissent les raisons de la solitude de Silvestre.

L’accordeur de silences, c’est un style très imagé, philosophique. La saudade, omniprésente dans le roman, donne une atmosphère particulière au texte. J’ai apprécié les thèmes abordés: poids du passé, culpabilité, relation père-fils, relation homme-femme, expression de la féminité, solitude.

Ce roman a été choisi par Sarah, ma fidèle libraire dans l’aventure Kube. Dans ma commande Kube de décembre dernier, je lui ai indiqué que je remplissais ma carte des auteurs africains et aimerais bien lire un auteur de l’une des nationalités suivantes: centrafricain, namibien, tanzanien, mozambicain ou érythréen.

Dans cette Kube, j’ai également reçu un marque-page Kube, deux sachets de thé de la route des comptoirs, un extrait de Le sixième sens de L.P.Hartley paru en janvier dernier aux éditions La Table Ronde, un calendrier 2021 et des fiches de lecture bristol de la marque foglietto.

Et je remercie l’équipe Kube pour leur diligence car je ne m’attendais pas à recevoir la Kube fin décembre. Ca m’a fait du bien de l’avoir pour mon anniversaire 🙂

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Kintu – Jennifer Nansubuga Makumbi

kintu

Les malédictions ont la vie dure. Depuis que Kintu, gouverneur d’une lointaine province du royaume du Buganda, a tué accidentellement son fils adoptif d’une malheureuse gifle, en 1750, un sort est lancé sur tous ses descendants, les vouant à la folie, à la mort violente, au suicide.

Et en effet, trois siècles plus tard, les descendants de Kintu semblent abonnés au tragique : Suubi harcelée par sa sœur jumelle qu’elle n’a jamais connue, Kanani, le « réveillé » évangéliste, fanatique mais lubrique, Isaac Newton, torturé par l’idée d’avoir transmis le sida à sa femme et à son fils. Et enfin, Miisi, le patriarche, l’intellectuel éduqué à l’étranger, harcelé par des visions et des rêves où s’invitent l’enfance, les esprits, l’histoire du clan et de la nation toute entière.

Un par un, ils sont appelés par les anciens du clan, dans une forêt aux confins de l’Ouganda, dans une ultime tentative de conjurer le sort.

l'Afrique écrit

Un prologue et six longs chapitres forment la charpente du livre.

Le prologue nous installe à Bwaise, le 5 janvier 2004 et annonce Kamu Kintu. Le lecteur n’a pas le temps de faire amplement connaissance avec Kamu qu’il faut déjà le quitter. Kamu a subi la violence de la justice populaire….

Voyage vers le passé, dans les années 1750 au Buganda. On découvre Kintu Kidda, l’ancêtre et les origines de la malédiction. 

Ses descendants (Suubi, Kanani, Isaac Newton, Miisi) dans les années 2000 exposent leurs souffrances vécues dans l’enfance et en tant qu’adulte. Ils subissent fortement le poids de la malédiction. 

J’ai trouvé certains récits très intéressants comme ceux de l’ancêtre Kintu Kidda et Kanani mais ceux de Suubi, Isaac Newton m’ont légèrement ennuyée. 

Certains personnages secondaires attrayants comme celui de Kusi, la générale, auraient mérité un développement.

Kintu est une fresque qui couvre trois époques. J’ai découvert de manière brève le Buganda avant la colonisation britannique, l’Ouganda dans les soleils des indépendances (clin d’œil à l’oeuvre d’Ahmadou Kourouma) et la guerre ougando-tanzanienne. L’auteure ne s’appesantit pas sur le contexte politique. Elle attise la curiosité du lecteur. 

La spiritualité est le thème central de cette saga familiale. Deux formes de spiritualité sont opposées l’une à l’autre : la spiritualité ancestrale avec ses rites et traditions et la spiritualité chrétienne, celle qui a été apportée par le colon. La majorité des personnages revendique une spiritualité africaine, un retour aux sources.

L’auteure aborde d’autres sujets comme l’extrémisme religieux, le tribalisme, l’inceste, la virilité telle que perçue par la société, l’homosexualité. Le point de vue ougandais selon lequel l’homosexualité n’est pas une exportation occidentale aurait pu être davantage développé.

Kintu est un livre intéressant pour qui désire avoir un aperçu de l’histoire politique de l’Ouganda et ses coutumes. 

Kintu est un livre percutant pour qui s’intéresse vivement aux effets de la colonisation, à la place de la spiritualité africaine dans le monde contemporain.  

– Tu vois, commença Misirayimu, c’est exactement ce qui se passe quand une société est paralysée par le concept d’un Dieu tout-puissant. Qu’est-ce qui peut empêcher ses chefs de prendre exemple sur Lui ? Peut-on critiquer son propre Dieu ? Peut-on Lui demander des comptes ? Les croyants ont tendance à singer leur divinité mais de façon pervertie.

J’ai beaucoup apprécié cet article de Miisi 

Contrairement au reste de l’Afrique, le Buganda se laissa attirer sur la table d’opération par des flatteries et des promesses. Le protectorat était la chirurgie plastique censée conduire plus rapidement le corps africain léthargique à la maturité. Mais une fois son patient sous chloroforme, le chirurgien fut libre de faire ce qui lui chantait. D’abord, il sectionna les bras et les jambes puis mit les membres noirs dans un sac-poubelle avant de les jeter. Il prit ensuite des membres européens et entreprit de les greffer sur le torse noir.

Quand l’Africain se réveilla, l’Européen s’était installé chez lui. Bien que l’Africain ait été trop faible pour se lever, il dit tout de même à l’Européen : “Je n’aime pas ce que tu es en train de faire, mon ami. Sors de chez moi, s’il te plaît.” Mais l’Européen répondit : “J’essaie seulement de t’aider, mon frère. Tu es encore trop faible et trop groggy pour t’occuper de ta maison. Je vais m’en occuper en attendant. Quand tu seras complètement rétabli, je te promets que tu travailleras et que tu courras deux fois plus vite que moi.” Mais le corps africain rejeta les membres européens. L’Afrique dit qu’ils sont incompatibles. Les chirurgiens disent que l’Afrique est sortie de l’hôpital trop tôt et que c’est pour cela qu’il y a une hémorragie. Il lui faut une intraveineuse beaucoup plus régulière de sang et d’eau. L’Afrique dit que le sang et l’eau sont trop chers. Les chirurgiens disent : “Mais non, nous avons fait la même chose avec l’Inde, et regarde comme elle court vite.”
Quand l’Afrique se regarda dans le miroir, elle se trouva hideuse. Elle regarda dans les yeux des autres pour voir comment ils la voyaient : il y avait de la révulsion. Cela donna à l’Afrique la permission de s’automutiler et de se haïr. Parfois, quand le monde a le dos tourné, les chirurgiens remuent le couteau dans les plaies de l’Afrique.
Quand elle tombe, les chirurgiens disent : “Vous voyez, on vous avait dit qu’ils n’étaient pas prêts.” Nous ne pouvons pas retourner sur la table d’opération pour réclamer les membres africains. L’Afrique doit apprendre à marcher sur des jambes européennes et à travailler avec des bras européens. Avec le temps, les enfants naîtront avec des corps évolués et avec le temps, l’Afrique évoluera en fonction de sa nature d’ekisode et prendra sa forme la meilleure. Mais celle-ci ne sera ni africaine ni européenne. Alors la douleur s’estompera.

La structure du récit est complexe, il y a de fréquents aller-retour entre le passé et le présent des descendants de Kintu Kidda. Le niveau de langue est accessible et je parle bien entendu de la traduction française mais certains termes en luganda ne sont malheureusement pas traduits. 

 

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Roman présélectionné pour le Prix les Afriques 2020

Éditeur : Métailié

Date de publication : Août 2019

Nombre de pages : 480

Disponible aux formats papier et numérique 

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Rentrée littéraire 2019 chez Grasset: A la demande d’un tiers

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«  La folie n’est pas donnée à tout le monde. Pourtant j’avais essayé de toutes mes forces.  »

C’est le genre de fille qui ne réussit jamais à pleurer quand on l’attend. Elle est obsédée par Bambi, ce personnage larmoyant qu’elle voudrait tant détester. Et elle éprouve une fascination immodérée pour les requins qu’elle va régulièrement observer à l’aquarium.
Mais la narratrice et la fille avec qui elle veut vieillir ont rompu. Elle a aussi dû faire interner sa sœur Suzanne en hôpital psychiatrique. Définitivement atteinte du syndrome du cœur brisé, elle se décide à en savoir plus sur sa mère, qui s’est suicidée lorsqu’elle et Suzanne étaient encore enfants.

La voix singulière de Mathilde Forget réussit à faire surgir le rire d’un contexte sinistre et émeut par le moyen détourné de situations cocasses. Sur un ton à la fois acide et décalé, elle déboussole, amuse et ébranle le lecteur dans un même élan.

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Retrouver ce roman dans la sélection du Prix du roman Fnac 2019 m’a donné envie de le découvrir. 

Je remercie les éditions Grasset et NetGalley pour cette opportunité de lecture.

La narratrice via son humour pétillant nous invite à prendre place dans sa famille pour quelques heures. Elle évoque le passé et le présent de sa famille : le suicide de sa mère, la gestion du deuil dans sa famille, l’internement de sa sœur.

 

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La narratrice est une excentrique. Elle use d’un ton léger pour évoquer la folie, la psychiatrie, les maladies mentales. Il est difficile de la cerner mais impossible de se détacher d’elle. J’ai pris plaisir à la suivre, à l’écouter parler du syndrome de tako-tsubo, sa passion pour les requins, narrer son enfance avec sa sœur Suzanne, ses extravagances, ses passions et la maladie de sa mère, point focal du récit.

Elle retourne sur les lieux, la plus haute tour du château touristique d’où sa mère s’est jetée. Elle interroge la famille, les psychiatres. Aucun d’eux ne porte le même diagnostic. 
Peu à peu, en convoquant tour à tour les personnages de Disney, la Bible ou l’enfance des tueurs en série, en rassemblant des lettres écrites par sa mère et en prenant le thé avec sa grand-mère, elle réussit à reconquérir quelques souvenirs oubliés.
Mais ce ne sont que des bribes. Les traces d’une enquête où il n’y a que des indices, jamais de preuves. La maladie de sa mère reste un mystère pour tous, les psychiatres y compris.

Ce long questionnement sans réponse peut susciter une frustration chez le lecteur.

 

On est loin de la lecture indispensable, du roman à lire avant de mourir. N’empêche qu’A la demande d’un tiers offre une sympathique expérience de lecture.

Christmas

Parution : 21/08/2019

Pages : 162

Prix du livre broché : 16.00 €

Prix du livre numérique: 10.99 €
Lien d’achat : ICI
Actualité :  ce roman fait partie des six romans sélectionnés pour le prix « Envoyé par la poste » qui sera remis le 26 août.

l'auteur du mois

Auteure, compositrice et interprète, Mathilde Forget a reçu le Prix Paris jeunes talents en 2014 pour son EP de chanson « Le sentiment et les forêts ». Elle a suivi un master de création littéraire et publié des nouvelles dans les revues Jef Klak et Terrain vague.

 

 

 

GM signature

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L’utopie des fous de Anthony Boucard

Roman concourant au Prix des Auteurs Inconnus 2019, catégorie « littérature blanche »

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« Pas un seul jour n’est passé sans que je ne vienne à toi, que je ne te fasse la cour, que je me jette à tes pieds pour éprouver ton amour et me faire aimer. Si je ne le faisais pas, c’est toi qui m’approchais. Lorsque nous nous croisions, nos yeux se retrouvaient et disaient ce que ton raisonnement ne pouvait comprendre. C’est ainsi, c’était inscrit dans ton sang et dans ta peau, comme cela l’était dans la mienne. Nous étions condamnés à nous aimer comme tu l’étais à m’oublier.»

C’est sur ces notes d’amour tendres que débute le roman. Ces mots, Marius Dupont, septuagénaire, les adresse à Jeanne Roland, l’amour de sa vie depuis l’adolescence.

Ils sont au foyer psychiatrique des Landes depuis près de 45 ans. Jeanne est amnésique. Quant à Marius, il affirme qu’il est fou sans donner de précision sur son mal.

Un soir, ils quittent le foyer. Marius est en possession de ciseaux de couture qui lui ont été donnés par Angèle, employée dans l’établissement depuis les années 60.  

Qu’est-ce qui a bien pu pousser Angèle à faire cela ? Que compte faire Marius avec ces ciseaux ?

Les questions du présent ont leurs réponses dans le passé.

On fait un bond en arrière, à l’été 44.

La France est occupée. Sur les terres séquestrées du sud Touraine, certains comptaient les jours avant la libération en priant que rien ne leur tombe sur la tête. D’autres se battaient, pour ou contre, en uniforme ou en civil, avec plus ou moins de conviction. Ils étaient français ou allemands, embarqués dans la même guerre.

Dans ce climat hostile de la seconde guerre mondiale, Jules Bréhant, 16 ans et Jeanne Roland, 14 ans s’aiment. Le père de Jeanne ne veut pas entendre parler de cette relation car le père de Jules est un collabo. Nos deux tourtereaux s’aiment donc en secret dans ce climat de suspicion et de méfiance instaurés par la guerre.

Dans l’horreur, jaillit l’écho de cet amour juvénile, vécu avec impétuosité. Un amour arrêté en plein élan à cause des affres de la guerre puis repris sous une autre forme.

 

A travers les yeux de Jeanne et Jules, l’auteur décrit les conséquences de la guerre sur le plan individuel, familial, communautaire et national.

Je lui racontai comment les habitants des villages redistribuaient leur amitié en fonction de leurs convictions ou de leurs intérêts, comment les amis du passé devinrent des ennemis pour de la viande, pour du beurre, pour un salut à l’occupant ou pour une résistance porteuse de représailles.

 

Chacun des bourreaux s’affairait à sa tâche comme si les rôles avaient été distribués et répétés longtemps à l’avance. Tous opéraient comme dans un rituel religieux au nom d’une patrie, d’un devoir ou de la morale.

Il n’y a pas de bons ni de mauvais dans les guerres. Il y a seulement des hommes qui font des choix. Et eux ont choisi d’être des assassins. Lorsqu’ils tirent sur nos soldats, ce n’est pas pour se défendre, c’est juste pour tuer de l’Allemand, des hommes qui font seulement leur devoir.

L’auteur nous fait réfléchir en nous plongeant dans l’horreur de la guerre, la violence sans nom. Dans une guerre, la bonté et le mal ne se trouvent-ils que dans un seul camp ?

Il nous fait également réfléchir sur les conséquences des choix que nous faisons sous l’influence de la colère, la frustration.

Très sceptique sur ce roman lors des présélections du prix, je l’ai finalement apprécié. C’est une sympathique découverte. 

Le procédé narratif rend l’oeuvre agréable à lire malgré son côté dramatique, mélancolique. L’auteur fait des allers-retours entre le présent et le passé et alterne les narrateurs. Les 32 chapitres formant la charpente du livre sont plutôt courts et donnent du rythme à l’histoire. Le niveau de langue est approprié au contexte de l’œuvre, le vocabulaire varié mais il  y a malheureusement énormément de descriptions pour la plupart inutiles qui alourdissent le récit.

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GM signature

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Frère d’âme de David Diop

Vous rappelez-vous de mon challenge “lire des prix littéraires” ? Je ne vous en tiendrai pas rigueur si vous l’avez oublié, je l’ai vraiment délaissé. Je tente de me rattraper avec le livre du jour qui a reçu le prix Goncourt des lycéens 2018.

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Alfa Ndiaye et Mademba Diop sont de la même classe d’âge. Lorsqu’ils entrent dans leur vingtième année, Mademba désire aller à la guerre. L’école lui a mis dans la tête de sauver la mère patrie, la France.

Mademba voulait devenir un grand quelqu’un à Saint-Louis, un citoyen français :

« Alfa, le monde est vaste, je veux le parcourir. La guerre est une chance de partir de Gandiol. Si Dieu le veut, nous reviendrons sains et saufs. Quand nous serons devenus des citoyens français, nous nous installerons à Saint-Louis. Nous ferons du commerce. »

 

Alfa Ndiaye, son presque frère puisqu’il a grandi avec lui après que sa mère soit partie l’a suivi dans son rêve. Alfa et Mademba deviennent des tirailleurs sénégalais. Sur les champs de bataille, ils découvrent que la France du capitaine Armand a besoin de la sauvagerie des noirs. Elle fait la propagande de cette sauvagerie pour faire peur à l’ennemi.  

 

Comme nous sommes obéissants, moi et les autres, nous jouons les sauvages. Nous tranchons les chairs ennemies, nous estropions, nous décapitons, nous éventrons.

Mais quand je lui souris, je sens qu’il se demande dans sa tête : « Mais qu’est-ce que ce sauvage me veut ? Qu’est-ce qu’il veut faire de moi ? Est-ce qu’il veut me manger ? Est-ce qu’il veut me violer ? » Je suis libre d’imaginer ce que pense l’ennemi d’en face parce que je sais, j’ai compris. En observant les yeux bleus de l’ennemi, je vois souvent la peur panique de la mort, de la sauvagerie, du viol, de l’anthropophagie. Je vois dans ses yeux ce qu’on lui a dit de moi et ce qu’il a cru sans m’avoir rencontré auparavant.

Un matin de la Grande Guerre, le capitaine Armand siffle l’attaque contre l’ennemi allemand. Les soldats s’élancent. Mademba tombe, blessé à mort, sous les yeux d’Alfa. Alfa se retrouve seul dans la folie du grand massacre, sa raison s’enfuit. Il culpabilise, il se détache de tout, y compris de lui-même, il répand sa propre violence au point d’effrayer ses camarades. Le héros de guerre est devenu un fou dangereux, un sauvage sanguinaire.

La rumeur a couru. Elle a couru tout en se déshabillant. Petit à petit, elle est devenue impudique. Bien vêtue au départ, bien décorée au départ, bien costumée, bien médaillée, la rumeur effrontée a fini par courir les fesses à l’air. Je ne l’ai pas remarquée tout de suite, je ne la distinguais pas bien, je ne savais pas ce qu’elle complotait. Tout le monde la voyait courir devant soi, mais personne ne me la décrivait vraiment. Mais j’ai enfin surpris des paroles chuchotées et j’ai su que le bizarre était devenu le fou, puisque le fou était devenu le sorcier. Soldat sorcier.

Son évacuation à l’Arrière est le prélude à une remémoration de son passé en Afrique. On découvre sa famille, la séparation avec sa mère, sa relation avec Fary. J’ai beaucoup apprécié cette partie du récit qui a l’allure d’un conte. Il y a d’ailleurs un conte africain cité en fin de roman.

Ce récit est un monologue, le discours des pensées d’Alfa. Il nous montre les dégâts intérieurs et extérieurs de cette folle guerre, ce que ces tirailleurs sénégalais ont dû endurer sur les champs de bataille et ceux qui ont vécu pour cette guerre.

Pour le capitaine, la vie, c’est la guerre. Le capitaine aime la guerre, comme on aime une femme capricieuse. Le capitaine passe tous ses caprices à la guerre. Il la couvre de cadeaux, il la fournit sans compter en vies de soldats. Le capitaine est un dévoreur d’âmes. Je sais, j’ai compris que le capitaine Armand était un dëmm qui avait besoin de sa femme, la guerre, pour survivre, tout comme elle avait besoin d’un homme comme lui pour être entretenue.

Frère d’âme offre une lecture rapide. David Diop a une plume fluide, caressante. Ma lecture fut intéressante mais pas transcendante.

J’ai eu une incompréhension à la fin : Mademba Diop est-il devenu Alfa Ndiaye ?

L’émission la Grande Librairie m’a donné un élément de réponse.

Un amour interdit Alyssa Cole

Il faut faire attention, quand on se pense libre de penser ce qu’on veut, de ne pas laisser passer en cachette la pensée déguisée des autres, la pensée maquillée du père et de la mère, la pensée grimée du grand-père, la pensée dissimulée du frère ou de la sœur, des amis, voire des ennemis.

 

GM signature

 

 

 

 

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En attendant Bojangles ou la vie de fantaisie

Je ne te chanterai pas une chanson qui donne le cafard
Je ne raconterai pas mes raisons, mes doutes, mes déboires 
Non ce soir j’suis au bar des sentimentalistes. 

Je regarde danser le slow des sentiments

Couverture En attendant Bojangles

En attendant Bojangles… Que d’avis élogieux sur ce roman ! J’ai voulu certifier ces avis, que voulez-vous, mon goût pour les belles lettres me rend parfois prétentieuse 😀

 

l'Afrique écrit

Ceci est mon histoire vraie, avec des mensonges à l’endroit, à l’envers, parce que la vie c’est souvent comme ça.

Cette phrase introductive du roman a intensifié mon envie de découvrir l’histoire.

J’ai découvert des parents extravagants. Du père ou de la mère on se sait qui est le plus fou. La mère change tous les jours de prénom, le père raconte toujours de beaux mensonges. Une famille à l’imagination débordante, au quotidien déluré. Ils se racontent des histoires grotesques, vivent une vie de fantaisie. Ils ignorent la réalité d’une façon charmante. Ils sont heureux. 

 

A quoi  ressemblerait ma vie si je vivais ainsi, dans l’insouciance la plus totale, faisant la fête chaque jour, envoyant valser les malheurs et inquiétudes ?

 

Quand le père évoque sa rencontre avec sa femme, on comprend mieux qui est à l’origine de cette folie qui gouverne la famille. Joséphine ou Constance _appelez la comme vous voulez_ rit tout le temps. Mais bien souvent, derrière les éclats de rire se cache une vie tourmentée.

Quand on aime, on partage tout. Il aime, chérit et est fidèle à toutes les personnes qu’elle est. Elle est folle et il a accepté son invitation à partager sa démence. Une démence qui finit par prendre de trop grandes proportions et qu’on n’arrive plus à canaliser. Hystérie, bipolarité, schizophrénie se mêlent à leur folle danse. On alterne entre mélancolie et gaieté, tristesse et joie, éclats de rire et pleurs contenus…

 

J’ai été agréablement surprise par le style de l’auteur. Il fait ce qu’il veut de la langue de Molière. Il la fait chanter, danser, virevolter, courir puis ralentir. Son récit est ciselé. La langue devient rire et plaisir, richesse et beauté. 

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Un avant-goût de l’humour présent dans le roman

Mon petit, dans la vie, il y a deux catégories de personnes qu’il faut éviter à tout prix. Les végétariens et les cyclistes professionnels. Les premiers, parce qu’un homme qui refuse de manger une entrecôte a certainement dû être cannibale dans une autre vie. Et les seconds, parce qu’un homme chapeauté d’un suppositoire qui moule grossièrement ses bourses dans un collant fluorescent pour gravir une côte à bicyclette n’a certainement plus toute sa tête. Alors, si un jour tu croises un cycliste végétarien, un conseil mon bonhomme, pousse-le très fort pour gagner du temps et cours très vite et très longtemps !

 

Sur sa tête, il n’y avait qu’une seule mèche de cheveux qu’il avait roulée tout autour de son crâne pour paraître moins vieux. Sa mèche était tellement longue qu’elle partait du milieu de son front et faisait tout le tour, pour finir coincée derrière une oreille, avec l’Ordure et Papa on n’avait jamais vu une coiffure pareille. […] Mais avec le vent, sa mèche se détachait tout le temps, elle s’envolait dans tous les sens, il essayait de la rattraper pour la ramener derrière son oreille, du coup il n’était plus du tout concentré. Il priait, s’arrêtait pour chercher sa mèche dans l’air avec la main, recommençait à prier avec un air distrait et sa mèche à nouveau s’envolait. Ses prières étaient hachées et son crâne aéré, on n’y comprenait vraiment plus rien. Papa se pencha vers l’Ordure et moi pour nous dire que son antenne de cheveux lui permettait de rester en contact permanent avec Dieu, et qu’avec le vent, il n’arrivait plus à capter le message divin.

 

 

Je vous recommande ce roman. A lire en écoutant Mr Bojangles de Nina Simone et sirotant un verre de vin. Buvons un verre à la santé des fous sentimentaux. 

 

signature coeur graceminlibe

 

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Les pêcheurs de Chigozie Obioma, triste histoire

Couverture Les pêcheurs

 

Un jour de janvier 1996, dans un village du Nigeria, quatre frères profitent de l’absence de leur père pour pêcher au bord du fleuve interdit Omi-Ala.
Le sorcier Abulu, qui les a vus, lance sur eux une terrible malédiction : l’aîné, Ikenna, mourra assassiné par l’un de ses frères.
La prophétie bouleverse les esprits, et hante la famille jusqu’au dénouement tragique.
Avec cet admirable récit dans lequel le tempo du conte africain accompagne la peinture du monde contemporain, Chigozie Obioma invente une forme nouvelle d’écriture romanesque.

l'Afrique écrit

 

Quand le pilier de notre fratrie s’écroule, tout s’écroule avec lui…

Ikenna, Boja, Obembe, Benjamin… Ce n’étaient que des enfants. L’aîné n’avait pas encore seize ans. Ils ne méritaient pas d’être autant acculés, emprisonnés par la fatalité.

Il y a des rencontres qui ne doivent jamais se faire, on n’en sort pas sain et sauf, des personnes qui ne doivent jamais croiser notre chemin au risque d’être engloutis dans leur chaos. 

Il y a des mots qui détruisent et ces mots-là jamais ne doivent être dits, jamais ne doivent être répétés parce qu’il est difficile de les négliger, oublier. 

Pourquoi as-tu répété ces mots, Obembe ? Pourquoi y as-tu cru, Ikenna ? Pourquoi ?

Telles sont les questions que j’ai posées aux personnages de cette fiction qui pour moi étaient plus que des personnages de papier. Leurs sentiments n’ont pas été inventés, ils sont si réels : le désespoir, l’effroi, la haine se ressentent avec une telle intensité. 

 

Quand un malheur nous tombe dessus, on le subit. Quand un malheur nous est annoncé, doit-on le préparer ? 

J’ai vu dans ce livre le pouvoir des superstitions et des croyances. J’ai vu comment elles peuvent soulager (prières de la mère, l’environnement de l’église) et comment elles peuvent détruire (prophétie d’Abulu).

J’ai assisté impuissante à leurs malheurs. J’ai cherché en vain des alternatives pour que ça s’arrête mais je n’étais pas le destin, cette force supérieure. L’Homme n’est pas l’infini, il est limité, il y a des choses qui lui échappent, je l’ai davantage compris en lisant ce roman. 

 

L’ambivalence a été l’une de mes compagnes pendant ce temps de lecture. J’en ai voulu au père qui n’a pas écouté à temps les signaux que lui envoyaient son épouse par rapport aux enfants mais je l’ai admiré pour sa maîtrise de soi, son courage, son espérance de jours meilleurs. Cet homme a voulu un avenir meilleur pour ses fils et il a fait le nécessaire pour que cela arrive. 

J’en ai voulu à Ikenna, Boja, Obembe mais des enfants en proie à l’effroi pouvaient-ils gérer autrement les circonstances ?

J’ai détesté Abulu mais cet homme était-il réellement lui-même ?

J’ai eu mal au cœur pour cette mère déstabilisée parce qu’elle n’arrive pas à éviter les maux qui menacent ses enfants. 

Les quelques événements comiques glissés dans le roman tombent à point. Ils allègent le poids de la tristesse que dégage ce roman. 

 

Les pêcheurs est un excellent roman psychologique. L’auteur nous a servi une belle analyse de ses personnages : la description des états d’âme, passions, conflits psychologiques, sentiment de fraternité est réussie.

 

C’est aussi un beau récit lyrique, très imagé. J’ai beaucoup aimé les comparaisons utilisées par le narrateur :

  • le père de famille est  l’aigle,
  • la mère est la  fauconnière,
  • Ikenna, le python, 
  • Boja, le parasite,
  • Obembé, le limier,
  • Benjamin, la phalène. 

 

La traduction de ce roman est sublime, j’imagine que la version originale doit être encore plus puissante. 

Ce roman restera longtemps dans ma mémoire. Je le recommande aux passionnés de roman psychologique et le déconseille à ceux qui sont déprimés.

Les auteurs nigérians sont à suivre de très près. Ils possèdent d’excellentes qualités de conteur.


Résultat de recherche d'images pour "chigozie obioma"Né en 1986 au Nigeria, Chigozie Obioma enseigne la littérature aux États-Unis. Son premier roman, Les Pêcheurs, publié dans 26 pays, a immédiatement connu un immense succès public et critique.

Pour en savoir plus sur le roman, cliquez ici

 

 

 

 

 

 

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Publié dans Arrêt sur une oeuvre

Babyface de Koffi Kwahulé, un roman double face

Je continue ma découverte des prix littéraires africains. Aujourd’hui, je vous fais découvrir le prix Ahmadou Kourouma. 

Le prix Ahmadou-Kourouma est un prix littéraire décerné par le Salon international du livre et de la presse de Genève portant le nom de l’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma. Il récompense un ouvrage de fiction ou un essai consacré à l’Afrique noire, sous la présidence du professeur Jacques Chevrier.

Le lauréat à l’honneur aujourd’hui est celui de 2006, Koffi Kwahulé pour Babyface.

 

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« Comme il ne dit rien, comme il ne fait rien, comme il ne fait que danser, je lui demande comment il s’appelle. Comme ça. Pour dire quelque chose. Il me dit Djê, Djê Koadjo, mais les copains m’appellent Babyface. Je demande Quoi ? Il répète Babyface, avec la voix de l’enfant qui s’attend à une punition, et, pour la seconde fois, je craque, je fonds, je coule… Babyface ! On dirait la caresse d’une houppette dans le creux des cuisses. Babyface ! Comment peut-on ne pas aimer un mec qui s’appelle Babyface ? « 

 

l'Afrique écrit

A la lecture de la 4e de couverture, je pensais lire une comédie romantique mais les premières lignes semblaient dire le contraire. Des fragments d’un journal présentent le déclin de Président, naufragé de l’histoire, celui qui concentrait entre ses deux seules mains toute la virilité palpitante de la république démocratique d’Eburnea. Un certain Babyface apparaît comme un général d’armée. Une femme en début de chapitre évoque son nom, il est vraisemblablement son chéri.

Au chapitre suivant, on découvre qui est cette femme, elle s’appelle Mozati. Cette belle femme, avec une certaine classe naturelle, a découvert l’union charnelle très tôt. J’ai été choquée par la perversité de l’homme qui a ôté sa virginité.

Mozati se fait entretenir par un vieux blanc naturalisé Eburnéan. Jérôme-Alexandre Dutaillis de la Péronnière !

Jérôme-Alexandre Dutaillis de la Péronnière ! C’est pas plus compliqué que Pamela Agbodjamoyafê quand même. 

 

C’est une jeune femme au caractère pétillant. Elle nous raconte les mésaventures de ses copines Pamela surnommée Joe Frazier, Mo’Akissi, surnommée Madame-conseils et Karidja surnommée Lame rasoir. On en rit gaiement.

Et Lame-rasoir ! C’est une autre copine, elle s’appelle Karidja. Pamela l’a sobriquée Lame-rasoir parce que sa langue fait mal comme si c’était une lame… Elle, de son côté, a surnommé Pamela, Joe Frazier, à cause de ses lèvres. Karidja dit que ses lèvres ressemblent à celles de Joe Frazier après son combat contre Cassius Clay. Pourtant, au début, Pamela avait une jolie bouche, une bouche tellement jolie que tu te dis que c’est pas fait pour manger, ni même pour parler, que c’est fait pour être accrochée au musée, ou quelque chose comme ça. 

 

Mozati rencontre Djê Koadjo surnommé Babyface. Ce jeune homme timide de 23 ans est étudiant en économie dans une université parisienne. Ce jeune homme m’a agréablement surprise par ses réflexions sur les écrivains et la littérature :

Vous êtes un écrivain, vous êtes celui qui joue à Dieu, c’est-à-dire celui dont la mission maligne, sacerdoce qu’il s’est imposé à lui-même, est d’encombrer la réalité de fictions et de transformer à la fin des fins l’humanité en irréalité. 

 

Notre pétillante Mozati, tombée éperdument amoureuse de ce beau jeune homme, quitte son vieux blanc. L’auteur met une pause à la narration de leur histoire d’amour pour nous raconter la situation politique de la république d’Eburnea qui ressemble fortement à celle de mon pays, la Côte d’Ivoire.

Un concept a été imaginé par des intellectuels pour préserver l’identité nationale : le concept d’éburnité. Qui n’était pas né et de père et de mère éburnéans eux-mêmes eburneans de naissance n’était pas eburnéan. Ce concept crée méfiance, tension, violence et drame. 

On revient ensuite à l’histoire d’amour entre Babyface et Mozati, en parallèle on assiste aux problèmes de couple de Mo’Akissi et Streaker. Jérôme, l’homme doux et discret, quant à lui nous fait revivre sa rencontre avec Mozati à travers son journal et il nous offre des phrases à méditer sur l’amour.

 

Aimer c’est avant tout se révolter.  Il n’ y a pas de grand amour sans révolte.

 

Tous  ceux qui ont aimé, vraiment aimé, absolument aimé sont devenus fous. La folie ! C’est à ce prix-là que l’on sait qu’on aime.

 

L’amour est une île déserte à deux. L’enfer c’est de s’y retrouver seul.

 

« Quand on aime, on ne compte pas » dit-on eh bien Mozati ne compte pas les billets de banque qu’elle fait parvenir à son bien-aimé Babyface. Mais celui qui est devenu son sel et son sucre, n’a pas qu’une face d’ange, il a aussi une double face…

Les manigances politiques surgissent. La politique est une pièce de théâtre mais ça, le peuple l’ignore… 

Personne ne sert une nation, c’est la nation qui se sert en énergies, en vies, en cadavres. 

 

La mise en forme du roman est atypique. C’est un patchwork, un roman n’zassa. Extraits de correspondances, poèmes, fragments du Journal imaginé de Jérôme et proses se juxtaposent. Français familier et soutenu se côtoient. De plus, les narrateurs s’alternent sans transition, les dialogues sont présentés sans tiret. C’est assez déconcertant. Je me perdais dans le fil du récit. 

Mon attrait pour ce roman s’est estompé dès la narration des problèmes de couple de Mo’ Akissi. J’ai trouvé la suite des péripéties un peu ennuyeuse, heureusement la fin de l’histoire révèle quelques surprises.

Mon avis sur ce roman est très partagé. J’ai apprécié certains faits, j’ai été déçue par d’autres. J’ai ri, je me suis également ennuyée.

L’auteur a misé sur l’originalité, un peu trop à mon goût. 

 

Christmas

Maison d’édition :  Gallimard (Continents noirs)
Date de publication : décembre 2005

Nombre de pages : 213 

 

C’est lundi, que lisez-vous en ce moment ? 

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