J’ai décidé de découvrir des livres qui ont reçu des prix littéraires en particulier des prix littéraires africains. J’ai débuté avec le Prix Ivoire et aujourd’hui je découvre le Grand prix littéraire d’Afrique noire.
Le Grand prix littéraire d’Afrique noire est attribué chaque année par l’association des écrivains de langue française, l’ADELF, reconnue d’utilité publique depuis le 19 juillet 1952, dont le but est de « promouvoir l’œuvre des écrivains qui, à travers le monde, s’expriment en français ». Le prix est ouvert aux « écrivains de langue française originaires de l’Afrique subsaharienne, ou à un ouvrage concernant cette zone géographique, en excluant les traductions »
J’ai donc lu le lauréat de 1983 : Sony Labou Tansi pour l’anté-peuple.


Époux et père modèle, fonctionnaire intègre, directeur adjoint de l’Ecole normale d’institutrices de Kinshasa, Dadou est, au Zaïre, un citoyen exemplaire. Mais les charmes de Yavelde, l’une de ses jeunes élèves, mettent sa vertu à rude épreuve… Comment résister à la tentation, en Afrique et ailleurs ? Ainsi recommence pour l’honnête, le tendre et lucide Dadou une aventure à la fois extraordinaire et terrible. Elle le conduira des geôles de son pays au maquis contre-révolutionnaire de l’Etat voisin dont il sera chargé d’exécuter le « Premier » représentant du pouvoir « anté-peuple ». Il s’apercevra alors que sous les régimes les plus différents la « mocherie » règne, identique et indéfiniment renouvelée.

Dadou est particulier dans son attitude, ses réflexions. Il pense différemment du commun des mortels, il a un penchant particulier pour le mot « moche », la mocherie. Dadou semble ne pas vivre, il existe tout simplement. Il s’est d’ailleurs marié parce que tout le monde se mariait.
C’est un homme ordinaire mais avec quelque chose de singulier. Cette singularité le rend attachant. Je l’ai encore plus admiré en le voyant lutter contre son attirance pour Yavelde. C’est un homme intègre, vertueux mais ce qu’il ressent pour cette belle jeune fille le ronge. Ne voulant pas succomber à la tentation, il se réfugie dans l’alcool. La gamine comme il aime l’appeler commet l’irréparable, un acte qui va priver Dadou de sa liberté, sa famille.
Le peuple en effet, décide de faire justice à la jeune fille en privant Dadou des siens. La justice populaire est terrible et je l’ai encore vu ces derniers jours avec le meurtre de ce militaire ghanéen lynché par la foule.
Mais quel est donc ce pays où des citoyens croupissent en prison sans être jugés ? Quel est ce pays où la terreur hante le peuple, où les habitants surveillent chacun de leurs mouvements pour éviter de subir les humeurs du régime dictatorial ?
L’auteur à travers ce roman pointe du doigt l’abus du pouvoir, le chaos social.
J’ai apprécié ses phrases percutantes, philosophiques.
« Mais pourquoi donner un jour de paradis à quelqu’un qui a cent jours d’enfer? Pourquoi enseigner quinze minutes de bonheur à un malheureux à vie? »
Tu ne vas pas laisser quelque chose au fond de ta vie, faut tout vider. Il n’ y aura personne pour boire le reste. Chaque vie se doit de vider sa coupe
Elle était fort amoureuse de lui. Mais Dadou n’avait plus ce cœur qui aime. Il avait l’autre cœur : celui qui oublie.
Mais quoi qu’on dise du cœur, ce qu’est le cœur, seul, le cœur le sait.
– Le cœur, répéta Dadou. C’est le coeur qui peut-être nous trahit. Tout le reste nous est fidèle. […] Oui, le coeur, c’est lui qui nous bouleverse. Le reste est obéissant. Le reste nous comprend, mais pas le coeur.
C’était en ces temps troubles où les grandes amours traversent le pont des réalités. Et sur l’autre rive, la tempête, les crises, le sang.
J’ai apprécié son langage imagé, l’usage des figures de style comme la personnification, les métaphores :
Dans ce temps, les choses abstraites se personnifient : le temps l’avait trahi et continuait à le trahir ; Le temps lui avait toujours menti, sans vergogne.
Avant, je comptais sur le temps. Mais le temps devient impuissant. Le temps ne bande plus.
L’attention de l’auteur est focalisée sur le corps. Chair, viande, sang, on ne compte pas le nombre de fois où ces mots apparaissent dans le texte. Ils m’ont fait penser aux sacrifices. Peuple sacrifié, amour sacrifié, dignité sacrifiée ?
J’ai également apprécié les notes d’humour :
– Vous, un pêcheur, qu’est-ce que vous iriez faire là-bas ? Pourquoi demandez-vous le chemin de l’enfer ?
– Je connais un démon.
J’ai été touchée par l’amour fidèle de Yealdara pour Dadou. Cette jeune femme amoureuse de Dadou s’est donnée à lui corps et âme. Si une femme a causé la perte de Dadou, eh bien une femme lui a offert la rédemption.
J’ai apprécié l’univers présenté par Sony Labou Tansi. C’est un livre à décortiquer, à mâcher…

Maison d’édition : Editions Seuil
Nombre de pages : 190
Date de publication : Septembre 1983

Je remporte un point grâce à ce livre pour la nouvelle édition du CHALLENGE GOURMAND de titepomme sur Livraddict et 5 points pour le challenge des petits livres organisé par Liliaza sur Livraddict.

Vous connaissiez l’auteur ? Que lisez-vous en ce moment ?
