Publié dans Arrêt sur une oeuvre

Madame la Présidente

A l’échéance du mandat présidentiel fixé à huit ans non renouvelables, le Président Simakan, Président de la République imaginaire de Louma, se retire du pouvoir conformément à la Constitution de son pays. Pour lui succéder, quarante candidats entrent en lice, dont une femme, Fitina. Grande première dans la République de Louma, cette candidature suscite l’espoir chez les uns et le doute chez les autres. 

L’auteure, Fatou Fanny-Cissé, propose une « critique de la démocratie à la sauce tropicale » riche en rebondissements, enrobée de fantastique, pleine de suspense et d’humour. Les thèmes qui parcourent le roman sont d’une grande actualité et se présentent comme un condensé de maux de plusieurs pays mis ensemble. 

Mme la presidente

J’ai acheté le livre parce que je m’attendais à lire le combat d’une femme contre tous les préjugés que l’on colle aux femmes qui ont de l’ambition, une histoire féministe dans le bon sens du terme d’où je ressortirais grandie et inspirée, hélas…

Fitina a brisé toutes mes attentes.

Elle n’était pas destinée à être présidente mais force le destin en usant de magie noire, bâtit son accession au pouvoir en versant le sang d’innocents.

A la tête de la République imaginaire de Louma, elle a agi en véritable despote, tuant comme on mange, réduisant au silence tous ceux qui pointent du doigt son diktat.

J’ai été choquée par son manque d’humanité, de sensibilité. (Je suis toujours choquée lorsque qu’une femme a un cœur de pierre.)

« En ouvrant la valisette, Fitina eut un vif mouvement de répulsion car elle reconnut la tête d’un célèbre chanteur albinos de la République de Louma. Elle se reprit bien vite car le Pouvoir, le Pouvoir d’Etat ne s’embarrasse ni de sentimentalisme ni d’état d’âme. »

La déception a accompagné le choc. Plusieurs tentatives d’assassinat ont eu lieu contre cette femme au cœur de pierre mais aucune d’elles n’a abouti ! Fitina est très bien protégée par ses fétiches, Fitina est invincible !

A chaque échec, mon cœur se serrait. J’avais peur pour ceux qui avaient tenté de tuer Fitina.

Elle ne se contenterait pas de les punir,

Elle ferait son possible pour les anéantir…

Le très long règne de Fitina m’a terriblement ennuyée.

La fin du roman rétablit la justice et apaise le cœur mais le canal fantastique que l’auteur a emprunté pour le dénouement m’a gênée. Il n’a pas su me faire oublier que j’étais dans une fiction…

A part ces petits bémols, Madame la Présidente est une histoire bien écrite, assez sympathique à lire avec ces petits proverbes à la sauce tropicale.

Qui a dit que l’argent n’a pas d’odeur ? Il faut dire qu’à partir d’un certain montant, il sent délicieusement bon, pensait-il à cet instant précis.

Bon lundi de pâques ! Pour vous aider à digérer, je vous propose de résoudre ces deux  énigmes contenues dans le roman  :

  • Quel animal vient au monde en tuant sa génitrice ?
  • Quels animaux tuent leur mâle après l’accouchement ?
Publié dans Arrêt sur une oeuvre

Drôle de printemps suivi de miniatures

Drôle de printemps

D’une séquence à l’autre, l’auteur nous plonge dans le « printemps arabe » avec ses espoirs, ses enjeux, ses dérives et ses folies. Dans un mélange de réalisme, d’humour, de dérision et de fantaisie, Youssouf Amine Elalamy raconte, dans son style bien à lui, les révolutions qui ont bouleversé le monde arabe. 

La révolution était en marche. A la télé, on avait annoncé 200 mille personnes pour la manif de vendredi. Un homme y va pour vérifier si la télé dit vrai. Il y trouve beaucoup de monde mais pas de révolution. Les 200 mille personnes étaient-elles vraiment venues pour faire une révolution ? N’étaient-elles pas venues vérifier si la télé disait vrai et s’il y aurait effectivement 200 mille personnes à la marche ?

Et ce pauvre gars qui répétait toujours le même mot : »rêve, rêve, rêve… » Savait-il pourquoi il était là ?

Ce pauvre gars nous explique à la deuxième séquence du livre pourquoi il répétait ce mot. Le ton frais avec lequel il s’exprime nous fait esquisser un sourire, ce sourire se mue en rire au fur et à mesure que l’on avance dans les séquences.

Drôle de printemps c’est 330 micro-récits, des récits quelquefois liés (la séquence suivante est une réplique à la séquence précédente), très souvent dissociés.

Les gens du peuple, les forces de l’ordre, le Leader politique à qui le peuple crie: « Dégage », s’expriment tour à tour et dévoilent leurs fantasmes, leurs frustrations.

Les personnages qui se succèdent dans ces récits sont loufoques, un peu schizophrènes sur les bords. Jugez-en par vous-même :

Tous les jours, je fais la tournée des librairies et je leur prends un exemplaire de mon livre comme ça mon éditeur ne pourra pas dire que c’est un bide. Heureusement qu’on n’a pas publié ma photo sur la 4ème de couverture. Les vendeuses m’auraient reconnu sinon.

Ce n’est pas parce qu’on est barbu qu’on est castré. Si Dieu avait voulu qu’on s’abstienne de regarder les femmes, il nous aurait fait pousser la barbe sur les yeux. Et puis il n’ y a pas que les hommes qui ont de la barbe. Les femmes la portent ailleurs, c’est tout.

Que Dieu bénisse Apple, Blackberry, Samsung, Nokia et tous les smart phones de la Terre. Aujourd’hui, avec une bonne charge d’explosifs et un téléphone portable qu’on actionne à distance, chacun de nos hommes est une bombe à distance, chacun de nos hommes est une bombe à usage illimité. On n’arrête pas le progrès.

A mon arrivée là-haut, personne ne savait où me caser. Mon coeur méritait le paradis, mon appareil génital l’Enfer et d’autres morceaux le Barzakh. A la fin, il a fallu recourir à l’arbitrage de Dieu en personne.

Pour ma carrière de pick-pocket, je ne pouvais pas espérer mieux. Avec ce voile intégral, ils me prennent tous pour une femme. J’ai fait coudre plein de poches à l’intérieur pour le rangement. Des grandes pour les Galaxy Note, des plus petites pour les i-phone.

99% ? Quand on me l’avait annoncé, je n’arrivais pas à y croire. Pas la peine d’être voyant pour voir qu’on avait truqué les résultats. J’avais donné mes ordres pour qu’on me retrouve les 1% et qu’on me les ramène tous ici, les poings liés.

Le désir de révolution ne se ressent pas seulement au niveau politique, il se ressent à l’intérieur de la cellule familiale, dans les rapport homme-femme.

L’abus, la duperie n’ont pas que pour cadre le domaine politique, ils existent également à l’échelle le plus bas de la société.

J’ai apprécié ce livre pour sa fraîcheur, pour les éclats de rire qui effacent les éclats d’obus. Avec ce livre, on imagine ce qui a dû se passer dans les foyers arabes lors de la révolution, tous les non-dits… J’ai apprécié voir le printemps arabe sous cet angle.

Les séquences sont assez courtes  mais on est un peu perdu quand elles sont dissociées.

Beaucoup de séquences tournent autour du sexe, cet aspect m’a un peu gênée.

L’auteur à travers ces micro-récits nous rappelle ceci : il vaut mieux en rire qu’en pleurer…

 

 

Drôle_de_printemps[1]

Miniatures 

« Miniatures » est un recueil de  cinquante portraits dont les histoires se recoupent et forment une fresque de la société marocaine contemporaine. De la petite bonne à tout faire au golden boy de la bourse de Casablanca, du cyberdragueur au professeur intégriste religieux, les personnages miniatures dessinés par Youssouf Amine Elalamy se racontent…

Ils nous exposent des fragments de leur vie et nous laissent y lire leur pauvreté, leur dépit, leur foi, leur compassion théorique, leur fatalité…

Leurs points de vue et attitudes sont souvent hilarants. Prenez pour exemple cet homme qui pense que les techniques de reproduction que sont les pratiques sexuelles en multipliant les exemplaires à volonté, remplacent une oeuvre unique, exclusive, par un phénomène de masse ou encore cette femme qui ne mange plus rien (viande ou céréale) parce qu’étant mère, il est inconcevable pour elle de manger les enfants des autres.

[…] Marcel a perdu, en l’espace d’un mois, son père, puis son fils Aimé. Depuis, Marcel, qui n’a pas perdu la foi pour autant, ne se signe plus qu’Au nom du Saint Esprit.

 

A la maison, son père n’a d’yeux que pour  sa sœur, sa sœur n’a d’yeux que pour son frère, son frère n’a d’yeux que pour sa mère, sa mère n’a d’yeux que pour lui qui n’a plus d’yeux du tout. Une chance que la balle qui l’a touché ne l’ait pas tué.

Il y a du rire dans « Miniatures » mais aussi des larmes. Comme dans la vraie vie, tout n’est pas rose…