Publié dans Arrêt sur une oeuvre

Le chant des revenants – Jesmyn Ward

À treize ans, Jojo essaie de comprendre : ça veut dire quoi, être un homme ? Non pas qu’il manque de figures masculines, avec en premier chef son grand-père noir, Pop. Mais il y a les autres, plus durs à cerner : son père blanc, Michael, actuellement en détention ; son autre grand-père, Big Joseph, qui l’ignore ; et les souvenirs de Given, son oncle, mort alors qu’il n’était qu’un adolescent.
Et Jojo a aussi du mal à cerner sa mère, Leonie, une femme fragile, en butte avec elle-même et avec les autres pour être la Noire qui a eu des enfants d’un Blanc. Leonie qui aimerait être une meilleure mère, mais qui a du mal à mettre les besoins de Jojo et de la petite Kayla au-dessus des siens, notamment quand il s’agit de trouver sa dose de crack. Leonie qui cherche dans la drogue les souvenirs de son frère. À l’annonce de la sortie de prison de Michael, Leonie embarque ses enfants et une copine dans la voiture, en route pour le pénitencier d’état. Là, dans ce lieu de perdition, il y a le fantôme d’un prisonnier, un garçon de treize ans qui transporte avec lui toute la sale histoire du Sud, et qui a beaucoup à apprendre à Jojo sur les pères, les fils, sur l’héritage, sur la violence, sur l’amour…

l'Afrique écrit

Je me suis demandé par quel bout commencer ma chronique. 

Par le racisme systémique, cette femme accro à la drogue et manquant d‘instinct maternel, ces âmes errantes parties de manière violente ou cet adolescent qui sert de père et de mère à sa petite sœur ?

Le chant des revenants est un roman polyphonique. Trois narrateurs prennent la parole : Leonie, Jojo et  Richie.

Commençons par Leonie. Une jeune femme afro-américaine en couple avec Michael. Un jeune homme blanc qui sort de prison au début du récit. La raison de sa présence en prison ? On l’ignore.

Leonie ne semble vivre que pour son Michael, ses enfants, elle s’en occupe par intermittence. L’instinct maternel n’est pas inné et cette assertion se confirme avec Léonie. Son addiction à la drogue m’a complètement détachée de son personnage. 

Leonie a un don. Elle est capable de voir les morts en particulier son frère, Given. Given a perdu la vie de façon débile. Son meurtrier n’avait pas digéré de perdre un pari.

Il a buté le nègre. Cette sale tête de con a buté le nègre parce qu’il a perdu un pari. 

La mort de Given a été classé en accident de chasse. Aurait-il eu le même nom si c’était Given le meutrier ?

La couleur de peau n’est pas insignifiante aux USA. Elle définit les relations, les traitements.

Mais on était chez elle, je restais noire et elle blanche, et si quelqu’un nous entendait nous engueuler et décidait d’appeler les flics, c’est moi qui irais en taule. Pas elle. Pas de meilleure amie qui tienne. 

Quand ils te regardent, ils voient une différence, fils. C’est pas ce que tu vois qui compte. C’est ce qu’eux ils voient. 

Bienvenue aux USA où le racisme systémique est malheureusement un héritage transmis de père en fils/fille. Leonie subit la haine du père de Michael.  Cet homme désapprouve avec violence la relation de son fils avec une noire. 

Parlons de Jojo. Ce jeune garçon très touchant. Ce pré-adolescent qui doit jouer le rôle de mère pour sa petite sœur. Jojo a le don de sa mère. Jojo est capable de voir Richie, ce jeune garçon mort de façon violente en prison. Un enfant qui a connu les pires sévices. Un enfant qui n’a jamais connu la douceur de l’enfance. 

Sing, unburied, sing…

Le titre du roman en anglais comme en français est bien trouvé car des fantômes errent et traversent le récit. Des âmes tourmentées qui n’arrivent pas à trouver le repos. Des âmes qui chantent leur douleur. Des fantômes qui racontent les violences dont ils ont été victimes et qui n’ont pas obtenu justice.

Une liste de revenants à laquelle on pourrait ajouter tous ces afro-américains qui ont été abattus lâchement. Je pense à Breonna Taylor, Ahmaud Arbery….

Sing, unburied, sing…

Le chant des revenants est un roman sombre. C’est l’histoire d’une famille afro-américaine qui n’a pas été épargnée par les épreuves. C’est l’histoire de l’Amérique structurellement raciste. 

Le style de narration est fluide même si j’ai été perturbée au début par l’aspect fantastique du récit. L’atmosphère du roman m’a fait penser aux romans de Toni Morrison mais on est loin du grand art de Toni. 

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Éditeur : Belfond

Date de publication :  2019

Nombre de pages : 272

Disponible en grand format, poche et numérique 

Récompensé par le National Book Award en 2017

Roman présélectionné pour le Prix les Afriques 2020

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Publié dans Arrêt sur une oeuvre

Lecture commune de Underground Railroad – Prix Pulitzer 2017

J’ai repéré ce livre grâce à l’émission la Grande librairie. Je l’avais inscrit dans ma liste de livres à lire cette année et Ève, une fidèle abonnée sur Facebook et à ma box littéraire, m’a proposé une lecture commune.

Nous avons débuté la lecture le 5 Mai, Eve l’a lu en moins de 3 jours. Il m’a fallu une semaine pour le lire, faute de temps.

 

DE QUOI PARLE LE TEXTE ?

 

Underground Railroad est une fiction historique. Récit très utile pour moi puisque j’ignorais l’existence du chemin de fer clandestin.

Cora est le personnage principal. Jeune esclave de 16 ans, née dans une plantation de coton de Géorgie. Un jour, Caesar, esclave arrivé à la plantation il y a un an et demi lui dit qu’il va s’échapper via l’Underground Railroad et qu’il aimerait qu’elle vienne avec lui. 

C’était la grand-mère de Cora qui parlait à travers elle, ce dimanche soir où Caesar mentionna le chemin de fer clandestin, l’Underground Railroad, et où elle dit non. 

« J’ai pas l’intention de me faire tuer par Connelly, ni par la patrouille, ni par les serpents. » Cora plissait encore les yeux d’incrédulité face à la bêtise de Caesar quand elle reçut son premier bol de soupe. Le Blanc passe ses journées à essayer de vous tuer lentement, et parfois de vous tuer plus vite. Pourquoi lui faciliter la tâche ? Voilà au moins une chose à laquelle on pouvait dire non.

 

Trois semaines plus tard, elle dit oui. C’était la voix de sa mère, Mabel, qui parlait à travers elle. Mabel s’était échappée, il y a environ 6 ans de la plantation, laissant sa fille toute seule. On ne l’avait jamais retrouvée. 

Cora va quitter la Géorgie à bord du chemin de fer clandestin, mis en place par des blancs. On découvre alors toute la terminologie de ce chemin de fer :

  • les gens qui aidaient les esclaves à trouver le chemin de fer étaient les « agents » 
  • les guides étaient les « chefs de train »
  • les lieux secrets étaient les « stations » 
  • les « chefs de gare » cachaient les esclaves chez eux

 

Arrivée en Caroline du Sud, elle découvre une ville où des noirs et des blancs cohabitent. Elle s’y sent bien, n’a pas envie de continuer son chemin vers la liberté mais la désillusion va frapper à sa porte. 

S’ils avaient été raisonnables et avaient poursuivi leur voyage, Caesar et elle seraient déjà dans les États libres. Comment avaient-ils pu croire que deux misérables esclaves étaient dignes de la générosité de la Caroline du Sud ? Qu’une nouvelle vie existait si près, juste derrière les limites de la Géorgie ? Ça restait le Sud, et le diable avait de longs doigts agiles. Et puis, après tout ce que le monde leur avait enseigné, comment ne pas reconnaître des chaînes quand on les leur fixait aux poignets et aux chevilles… Celles de Caroline du Sud étaient de facture nouvelle – avec des clefs et des cadenas typiques de la région – mais elles n’en remplissaient pas moins leur fonction de chaînes. Ils n’étaient pas allés bien loin.

 

Elle dormit très mal. Sur les quatre-vingts couchettes, les femmes ronflaient et s’agitaient sous les draps. Elles s’étaient mises au lit en se croyant libres, hors d’atteinte des Blancs, de leur contrôle et de leurs injonctions concernant ce qu’elles devaient faire et être. Convaincues qu’elles maîtrisaient le cours de leur vie. Mais ces femmes demeuraient un troupeau domestiqué. Non plus une pure marchandise comme naguère, mais du bétail : élevé et stérilisé. Parqué à l’intérieur de dortoirs comme dans un clapier ou des cages à poules.

 

C’est comme ça qu’agissent les tribus européennes, disait-elle. Ce qu’elles ne peuvent pas contrôler, elles le détruisent.

 

Son maître Randall a donné l’alerte. Cora est une fugitive et est activement recherchée par le chasseur d’esclaves Ridgeway. Ce dernier n’ayant pu retrouver la mère, retrouver la fille devient son ultime but.

La peur s’installe. Les prières commencent, on a peur qu’il la retrouve. Quand cela arrive, la peur devient effroi. Quel sort son propriétaire va-t-il lui réserver ?

On suit attentivement chacune des péripéties. On gémit de douleur en lisant les avis de recherche des fugitifs, le sort qui leur est réservé ainsi qu’aux blancs qui les cachent.

J’ai eu une immense peine pour Homer, ce jeune garçon attaché à Ridgeway. C’est son homme de main. Il l’accompagne partout dans ses sales besognes. Il est admiratif de son maître, comme s’il était son créateur. A travers lui, on se se rend bien compte de l’impact psychologique de l’esclavage.

A plusieurs reprises dans le récit, les blancs qualifient de bêtes les Noirs oubliant que ce sont eux qui les ont abrutis pour pouvoir mieux  les manipuler.

 

Colson Whitehead nous montre le visage de l’Amérique d’autrefois, un visage qui n’a pas perdu ses marques…

 

Sur la forme, le livre se lit plutôt aisément, il y a quelques longueurs mais elles ne sont pas gênantes.

Underground Railroad est un roman nécessaire. Pour l’acheter, cliquez ICI

 

Ève a adoré. C’est un coup de cœur et le roman lui a donné envie de lire d’autres livres sur l’esclavage. J’ai également d’autres livres dans ma PAL sur l’esclavage mais je lirai d’autres livres avant eux. J’ai besoin de souffler. 

 

Connaissiez-vous le chemin de fer clandestin ? Avez-vous lu d’autres œuvres de Colson Whitehead ? 

 

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