
Il y a des livres que je lis pour m’évader, côtoyer l’inconnu.
Il y a des livres que je lis pour mieux écrire, Mémoire d’une tombe fait partie de ceux-là.
J’ai choisi de lire ce livre parce qu’il a reçu en 2009 un prix et pas n’importe lequel, le Prix Ivoire créé en 2007 par quatre amoureux du livre, Isabelle Kassi Fofana, Henry N’Koumo, N’Dohou Luisiano et Asta Sidibé.
Tiburce Koffi, brillant narrateur, vous invite à assister à une vision en quatre moments dramatiques.
Venez, n’ayez pas peur, asseyez-vous autour du feu, ouvrez grand vos oreilles, écoutez la légende de Sama Toé, Kansar Tabaldé, Ilboudo Kassiérou, Bélem Kakoudi, Sombo Jean-Benoît, ces amis de lycée devenus les leaders d’une nation fragile.
Ouvrez grand vos yeux et contemplez la métarmorphose de Yalêklo, l’un des pays les plus pauvres du monde, à la sueur du travail et du sang.
Venez, voyez comment l’amitié est sacrifiée à l’autel du pouvoir.

1er chapitre du livre : je rencontre 4 camarades, membres du Conseil des chefs historiques de la Révolution du 23 mars 1980. Ils font le bilan critique de cette grande révolution, annoncent une rectification, fortement désapprouvée par l’un des camarades qui semble être le chef, le président de la République. Le parfum âcre de la conspiration se répand lentement. Le narrateur annonce une histoire belle mais sale. Je suis hypnotisée par les notes sombres et enivrantes du djomolo (instrument de musique), emportée par sa poésie et l’art rhétorique du narrateur.
Avec ses « mots-musique, mots-couleurs, mots-voyants », il me plonge dans l’univers de Sama Toé, jeune élève studieux, réservé, bon sportif et encadré par le professeur Prévost, ce « Monsieur Afrique » qui a vécu plus de 30 ans sur le continent. Je rencontre également, Kansar, l’âme frère de Sama, la coqueluche du lycée.
Ces jeunes hommes obtiennent leur BAC, partent étudier en Côte d’Ivoire. Après la licence, ils choisissent d’aller à l’Armée à Bouaké. Ilboudo et Bélem épousent leur choix. Grâce à eux, je découvre avec enchantement le portrait de mon pays dans les années 80.
Les jeunes militaires partent pour un stage d’un an à Cuba. Là, ils suivent des cours d’idéologie qui virent à de l’endoctrinement.
« Le rôle de l’armée, c’est de se battre aux côtés du peuple pour prendre le pouvoir ou le conserver, quand c’est elle qui le détient »
L’oeuvre devient un ouvrage didactique, me permet d’en savoir plus sur l’idéologie marxiste, le communisme, le révolutionnaire Che Guevara . J’apprécie la satire de la politique africaine, les réflexions sur le modèle économique de l’Afrique, les causes de notre retard en commençant par le mauvais business qu’ont fait nos ancêtres lors de la traite négrière .


En Afrique, avait constaté Sama, le temps était gelé, distrait, corrompu, élastique à souhait : le temps des funérailles, longues, éprouvantes, dépensières et ruineuses, le temps de la sieste, le temps des mariages, le temps des ragots. Il manquait le temps de l’investissement.
A Yalêklo, l’égoisme pompeux du président rédempteur Hassadé Mohane révolte Sombo, ami de lycée de Sama et Toé. Devenu journaliste, il devient un fervent activiste. Kansar le militaire concocte avec ses amis, une révolution inspirée des idéologies marxistes. ils veulent changer la destinée de leur pays, relever le challenge d’une révolution réussie en Afrique. Ils y arrivent avec de la détermination et…
Sama Toé devient le leader, le président de la République , le camarade n°1. Sama est un rêveur actif. Il rêve d’une terre où la nation n’est pas un concept, il rêve d’indépendance économique. Il instaure avec ses camarades dirigeants de nouvelles lois. Le travail devient la première religion du pays. Le pays arbore un nouveau visage…
…Mais le règne de Sama devient trop bruyant. Il y a trop d’interdits, trop de dérives, des fissures qui laissent entrer le lézard. La soif de pouvoir s’empare de l’un des camarades dirigeants…
J’ai eu un pincement au coeur à la fin de l’histoire. Elle m’a persuadé d’une chose : m’éloigner de la politique.
Mémoire d’une tombe est un coup de coeur. J’ai aimé la saveur des mots, des dialogues. J’ai aimé le mystère qui accompagne certains faits. Tiburce Koffi est un virtuose de la narration.
Par contre je l’ai trouvé hyper long (514 pages !) avec des détails dont j’aurais pu me passer comme la collection discographique du père mais…
ça n’altère pas la haute qualité du récit. J’espère que ce livre fera partie de vos dernières lectures de 2016 ou encore des premières de 2017.

Tiburce Koffi est un écrivain, dramaturge et journaliste ivoirien né en 1955 à Bouaké. Il a animé une émission littéraire sur la RTI, chaine de télévision ivoirienne nationale.
Il a obtenu le Grand Prix RFI du théâtre radiophonique Gabriel Germinet en 1996 pour « Le Paradis infernal ». Il est l’auteur de nombreuses autres pièces de théatre très populaire, de romans, d’un recueil de nouvelles et un essai sur les dérives dans son pays.
- Sinaga le cheval sans papiers, littérature pour enfant, Vents d’ailleurs, 2008, 28 pages de Muriel Diallo,
- A la poursuite de l’homme de pierre, roman, éd. Présence Africaine, 2009, 28 pages de Stéphane Kalou ;
- Le retour de l’enfant soldat, littérature de jeunesse (récit), éd. Valesse, 2009, 102 pages, de François d’Assise
- L’héritier, roman, éd. Vents d’Ailleurs, 2009, 146 pages, de Sayouba Traoré
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