Publié dans Arrêt sur une oeuvre

Amour, patrie et soupe de crabes – Johary Ravaloson

 » Antananarivo. Je voulais parler d’une place sans laquelle ma ville n’aurait été qu’une agglomération irriguée de commerce sans réel échange, habitée par des femmes et des hommes qui ne cohabitent pas. La place du 13-Mai m’a fait espérer plus encore : un sens à tout ça, un sentiment d’appartenance à l’avenir, car des ancêtres communs ne suffisent pas pour vivre ensemble. « 

l'Afrique écrit

De Johary Ravaloson, j’ai déjà lu Vol à Vif, Prix Ivoire 2017 et je désirais lire une autre oeuvre de ce bon conteur. 

Le premier personnage rencontré est un chauffeur de taxi abasourdi à cause de la disparition d’une place : la place du 13 mai. Une place historique qui a été rebaptisée Place de l’amour.

Cette place semble imposer une retenue au pouvoir, une peur latente du feu qui à tout moment peut le consumer

Conquérir la Place du 13-Mai c’est faire tomber le pouvoir. Le faire c’est le conquérir. Plusieurs fois déjà. Certains perdront leur vie, d’autres plus rares gagneront une place de ministre. La curie des pompiers incendiaires. Une lutte de places. Plus on s’éloigne du 13 Mai, plus c’est féroce et juteux. C’est si féroce et juteux qu’on oublie le 13 Mai, jusqu’à ce qu’à nouveau la foule afflue sur la place devant la mairie.

On comptait apaiser ainsi de si vieilles douleurs et un si récent sang versé. Place du 13-Mai, s’indignait-on, plus jamais ça !

Le Chauffeur de taxi semble distribuer les rôles. Quatre personnages sont introduits : Nivo Espérance, Justin Rabédas directeur de communication de l’Hôtel de ville et porte-parole du maire PDS, Liva, le chef du service de sécurité de l’Hôtel de ville et Héry, un 4-mis, un enfant de la rue.

Le lecteur n’a pas encore franchi le couloir de la 30e page qu’il assiste à une scène d’une violence inouïe : Héry est violemment frappé par les forces de l’ordre parce qu’il s’en est pris à la clôture de l’hôtel de ville. Laissé pour mort, il est recueilli par Mme Nivo Espérance.

Nivo Espérance est un sarimbavy, un homme efféminé. Né homme, elle se sent femme et veut vivre comme elle l’entend. A travers elle, c’est la thématique de l’identité et de l’affirmation de soi qui est évoquée. J’ai beaucoup été touchée par ce personnage.

Le lecteur découvre le côté urbain d’Antanarivo avec d’un côté les marginaux et de l’autre les puissants.

Il croise des hommes et des femmes, des morceaux de vie qui se croisent, s’entrechoquent.

Amour... Amour de soi, amour de l’autre soi.

Patrie... un groupe d’individus dont l’avidité ne décroît pas; un peuple, des révoltes et une faim qui ne tarissent pas.

Soupe de crabes…. des fouza, des hommes-crabes, de redoutables prédateurs.

Les fouza sautillent, d’autres fouza les écrasent pour sautiller de plus haut. Un fouza se méfie de tout fouza. Et il y a autant de clans fouza que de chefs fouza. Ils ne sont pas bons. Ils veulent tous être chef fouza à la place de tout chef. Ils sont parmi nous et ils veulent tout bouffer ; le riz dans les marmites, le riz dans les réserves, le riz dans les rizières, et même vos futures courses, encore dans le chariot grande taille de chez Jumbo score.

Ce roman dont la charpente est constituée de trente chapitres à la longueur plus ou moins variée a une dimension politique : l’enrichissement des hommes politiques sur le dos des collectivités, la corruption, les jeux d’alliance pour accéder aux bonnes positions, les fausses promesses sont décriés.

Il a également une dimension sociale : la condition des enfants de la rue livrés à eux-mêmes, non insérés dans les programmes sociaux des dirigeants.

Malgré la violence parfois présente, il règne dans ce récit une atmosphère de tendresse, de douceur grâce aux personnages. Chacun réussit à capter l’attention du lecteur avec ses bons et mauvais côtés.

J’ai apprécié le ton fluide de l’auteur qui favorise une accessibilité de l’oeuvre. Néanmoins, il a manqué à mon sens un glossaire pour expliquer les mots et expressions malgaches.

Christmas

Éditeur : Dodo vole 

Collection : Dodo plumitif

Date de publication :  2019

Nombre de pages : 320

Disponible aux formats papier et numérique 

Roman finaliste au Prix les Afriques 2020

fleur v1

Publié dans Arrêt sur une oeuvre

Reste avec moi – Ayobami Adebayo

Yejide espère un miracle. Un enfant. C’est ce que son mari attend, ce que sa belle famille attend, et elle a tout essayé. Mais quand une délégation familiale se présente à sa porte escortant une jeune femme, son univers vacille. Accepter une seconde épouse, c’est au-dessus de ses forces.

l'Afrique écrit

Le récit débute à Jos en décembre 2008. Une femme s’adresse à un homme. Elle évoque le passé, un passé commun. 

Au 2e chapitre, le lecteur est projeté vers ce passé. Saut en arrière de 23 ans à Ilesha. La narratrice raconte son histoire à la première personne. Un moyen pour permettre au lecteur d’être au plus près de ses sentiments et pensées. 

Yejide est mariée à Akin. Elle n’arrive pas à concevoir et c’est un drame pour sa famille. Un jour, Iya Martha_l’une des quatre mères_ et Baba Lola, l’oncle de son mari viennent lui présenter Funmi, sa co-épouse. Ils sont persuadés qu’une fois que Funmi tombera enceinte, Yejide pourra, elle aussi, connaître les joies de la maternité.

L’atmosphère du récit est sombre même s’il y a quelques instants de rire. Le rythme du récit est lent mais les drames successifs de Yejide sont tellement poignants qu’on s’accroche à son histoire jusqu’au point final.

J’ai trouvé que les rebondissements étaient dignes d’un scénario de Nollywood. 😀

Akin est le narrateur secondaire. Il nous présente par moment ses pensées, les difficultés que traverse son mariage en raison de l’absence d’un être capital dans une famille : un enfant.

Je suis tombé amoureux de Yejide dès le premier instant. Aucun doute là-dessus non plus. Mais même l’amour est impuissant face à certaines choses. Avant de me marier, je croyais que l’amour était capable de déplacer des montagnes. Je ne tardai pas à comprendre qu’il ne pouvait pas supporter le poids de quatre années sans enfant. Si le fardeau est trop lourd et demeure trop longtemps, même l’amour ploie, se fend, manque de se briser et parfois se brise. Mais ce n’est pas parce qu’il est en mille morceaux à vos pieds que ce n’est plus de l’amour.
Au bout de quatre ans, j’étais le seul à accorder encore de l’importance à l’amour. Ma mère s’en fichait. Elle n’avait que mon devoir de fils aîné à la bouche.

J’ai apprécié cette alternance de points de vue inégale même si j’aurais aimé qu’elle soit indiquée et que le lecteur n’ait pas à se demander à chaque fois qui est le narrateur dans ce chapitre.

Les thèmes abordés dans ce roman sont divers et variés: la figure de la mère dans la société nigériane, le caractère sacré de la descendance, le désir de maternité mais aussi de paternité vécus sous différents angles, les secrets de famille/couple, les maladies génétiques héréditaires avec pour toile de fond les troubles politiques qui secouent le pays dans les années 80-90. 

L’ouvrage accessible offre un récit vivant avec beaucoup de dialogues. Sa fluidité m’a permis de le lire en 16 heures. 

Christmas

Éditeur :Editions Charleston

Date de publication : Janvier 2019

Nombre de pages : 315

Disponible aux formats papier (grand format et poche) et numérique 

Roman finaliste du Prix les Afriques 2020

fleur v1

Publié dans Arrêt sur une oeuvre

Les veilleurs de Sangomar – Fatou Diome

Nul ne s’aventure sans appréhension à Sangomar, ce bout de terre inhabitée où, dans la tradition animiste sérère, se rassemblent les djinns et les âmes des défunts. Sur l’île voisine, la jeune Coumba entame un long veuvage, recluse chez sa belle-mère. Elle vient de perdre son mari dans le naufrage du Joola, en 2002, au large du Sénégal. Dès la nuit tombée, après le cortège des prières rituelles et des visites obligées, Coumba peut enfin faire face à son chagrin, consigner les souvenirs heureux, invoquer les morts. Alors, sa chambre s’ouvre grand aux veilleurs de Sangomar, esprits des ancêtres et des naufragés qui lui racontent leur destin et la mèneront à la rencontre de son « immortel aimé ».

Un grand roman de liberté et d’amour fou, porté par le souffle ensorcelant de Fatou Diome.

mon-avis-de-lecture

Fatou Diome est une auteure que j’apprécie particulièrement pour ses prises de position sur l’immigration. 

Je n’ai lu à date que 40% de sa bibliographie. A chaque fois, le souvenir de la dernière lecture me précipitait dans les bras de la suivante. 

Les veilleurs de Sangomar évoque le lévirat et les conditions de la veuve à Niodor. Le lecteur assiste aux restrictions imposées à Coumba durant sa période de veuvage. Le lecteur tend l’oreille aux épanchements de cette jeune femme qui a perdu son amour, le père de sa fille dans le naufrage du Joola, en 2002. Dès que tombe la nuit, elle invoque les Veilleurs de Sangomar, l’île voisine où se rassemble, dans la tradition animiste, les esprits des morts. Elle invoque l’esprit de son époux. 

J’ai apprécié cette mise en avant de la culture animiste sérère ainsi que le portrait de Coumba, cette jeune femme qui va de l’avant, se reconstruit après le deuil. 

Fatou Diome aborde des sujets importants comme l’importance de rester soi-même sans se fermer aux autres. Additionner les cultures, être ouvert à l’autre sans se renier, tel est le message universel qu’elle semble vouloir transmettre à travers son oeuvre.

Je m’attendais à lire un roman de la même trempe que Celles qui attendent. Malheureusement, je n’ai pas été totalement convaincue par les veilleurs de Sangomar. La narration est lyrique, imagée mais le rythme est très lent, les longueurs sont nombreuses. Des paragraphes plus aérés auraient donné une fluidité du récit. 

Bref ! Ce n’est pas le roman de Fatou Diome que je recommanderais les yeux fermés 😦

détails ouvrage

Éditeur : Albin Michel

Date de publication : Août 2019

Nombre de pages :  336

Présélectionné pour le Prix les Afriques 2020

fleur v1

Publié dans Arrêt sur une oeuvre

TTL 70 : Les cent puits de Salaga – Ayesha Harruna Attah

Qui dit jeudi, dit Throwback Thursday Livresque. Cette semaine, le thème est UNE SORTIE DU MOIS.

Throwback oblige, c’est un livre sorti en septembre 2019 que je vous présente.

Les cent puits de Salaga - Ayesha Harruna Attah - Babelio

Elles ont le nom de reines guerrières, et tout semble les opposer. Aminah a quinze ans, guette les caravanes de marchands dans la région de Gonja, vend un peu de nourriture. Bientôt, un raid de cavaliers fait d’elle une captive.
Wurche est une princesse, fille têtue du chef de Salaga, la ville aux cent puits, haut lieu du commerce d’esclaves. Elle a l’âge d’être bientôt mariée, alors qu’elle ne rêve que de pouvoir, en ces temps d’alliances et de conflits entre chefs de tribus, avec les Ashantis de la forêt voisine, avec les Allemands, les Anglais, les Français.
Et il y a Moro, l’homme à la peau si noire qu’elle est bleue. Il vit de la vente d’esclaves mais croit à la destinée, et cède à la beauté.

l'Afrique écrit

Ce roman présélectionné pour le Prix les Afriques 2020 m’a attirée par sa 1ère de couverture aux couleurs chatoyantes mais aussi par son résumé. J’ai sauté à pieds joints dans le récit et je n’aurais pas dû.

Au début de l’histoire, j’ai pensé retrouver l’atmosphère de No home de Yaa Gyasi mais ce roman est complètement différent. 

Les cent puits de Salaga c’est l’esclavage intra-continental africain observé à travers les yeux du marchand d’esclaves, Moro, de la maîtresse d’esclave Wurche et de l’esclave Aminah. Nous sommes au Ghana dans la période précoloniale. 

Spectateur, le lecteur voit se dérouler sous ses yeux les relations entre maîtresse et esclave. Il observe le commerce entre Africains et Européens au XIXe siècle, le jeu politique entre les familles royales africaines. Il observe des femmes qui veulent être maîtresse de leur destin. Wurche est une princesse rebelle, un garçon manqué. 

Il y a de l’amour dans l’air, une quête d’affirmation de soi et de liberté. 

L’auteure a fait le choix d’une alternance narrative. Deux femmes, deux voix : Aminah et Wurche. La narration à la 3e personne m’a laissé indifférente vis-à-vis des émotions des personnages.

L’auteur avait tous les ingrédients pour faire de ce roman un récit bouleversant mais il flotte dans ce récit un parfum de froideur. Le rythme manque cruellement de rythme. 

Le thème de l’esclavage intra-continental est très intéressant mais nécessitait un travail plus abouti de l’auteure. Le récit est accessible mais le style est simpliste. Peut-être un problème de traduction ?

Vous l’avez compris, Les cent puits de Salaga ne m’a malheureusement pas convaincue.

Et vous, quel livre auriez-vous proposé pour ce thème ?

fleur v1

Publié dans Arrêt sur une oeuvre

Le silence des collines – Béatrice Uwambaje

Une Rwandaise témoin du génocide revient, 23 ans après, sur les lieux du drame. Entourée de son fils survivant et de ses deux enfants métis, elle tente de rétablir la relation avec ceux qui sont désormais les acteurs d’une société transformée. Le personnage-narrateur, un double qui regarde l’auteur, observe, se souvient, scrute, analyse. A la fois intime et pudique, son récit oscille entre évocation, litanie, métaphore passé, présent. Un témoignage sensible et puissant sur ce que peut la littérature après l’irréparable.

l'Afrique écrit

Elle s’appelle Mutesi. Témoin, victime du génocide des Tutsi en 1994. Son mari et sa mère n’y ont pas survécu. Elle retrouve son pays 23 ans après la tragédie. Comme un pèlerinage, elle revient sur les lieux du drame.

Si avec Scholastique Mukasonga, les collines murmurent, avec Béatrice Uwanbaje, elles sont sous silence. 

Et toutes ces collines de Buhoro, Kabali, Mvuyekure ? Celles-là auraient pu dire quelque chose tout de même ! Elles lui appartenaient comme on appartient à une mère bienveillante ! Elles ont aussi brillé par leur silence…

Mutesi fait la rencontre d’un Rwanda transformé. D’un Rwanda moderne qui ne se lamente pas, est allé de l’avant.

Si au début de ma lecture, j’ai eu l’impression que Mutesi en voulait à ceux qui avaient décidé d’aller de l’avant après le génocide des Tutsi de 1994,  détestait ce que son pays était devenu, j‘ai compris par la suite que ses mots cachaient une grande douleur. Mutesi n’avait pas encore réglé ses comptes avec le passé.

– Mana we, Mon Dieu, je crois que nulle part ailleurs dans le monde, les tueurs n’ont été plus efficaces dans leur « travail ». Tuer n’aura été aussi bien fait que dans cette ville.

A ce niveau de tueries, de barbarie, ce n’était plus vraiment le « travail » ! C’était purement et simplement de « la haute couture ». Méticuleux comme il faut ils étaient.
Méthodiques, studieux, nous les avons vus aller de maison en maison, de quartier en quartier comme si un trophée les attendait à la fin de la saison… On aurait dit qu’aucune négligence, aucune légèreté, ne leur était permise. C’est avec une précision exemplaire qu’ils ratissaient quartier par quartier, colline par colline. Aucune ruelle n’a été oubliée…Les finitions étaient parfaites.

En plus, comprendre signifierait peut-être pardonner,
Et je n’ai pas la force de pardonner, qui que ce soit.
Tant pis, je serai de ceux qui ne sauront jamais pardonner.
De ceux qui se contentent de faire semblant.

Aller de l’avant ne signifie pas oublier. Je suis admirative de ce Rwanda qui a réussi à relever la tête, a décidé de penser en nation et non en clan ethnique. 

– Mais non Mutesi, quelle question ! Les cartes d’identité « ethniques» n’existent plus, la seule réalité reconnue aujourd’hui est qu’il n’y a pas d’ethnies au Rwanda, il n’y a que des Rwandais.

Ce roman témoignage ne figure pas dans mes lectures mémorables mais j’ai beaucoup apprécié l’évocation de la culture du Rwanda, ses rites, l’organisation des familles et l’insertion des proverbes.

« Ne te lasse pas de crier d’être en vie et tu n’entendras plus d’autres cris ».

« Les enfants élevés par une femme seule doivent avoir l’intelligence de n’importe quel autre enfant, à laquelle il faut ajouter l’intelligence des orphelins. »

La plume de l’auteure est une première fois pour moi. J’ai découvert une plume lyrique, un style accessible, descriptif qui m’a parfois lassée en raison des répétitions et de la baisse d’intensité dans les péripéties narrées.

Christmas

Éditeur : Sépia

Date de publication : Mars 2019

Nombre de pages : 262

Disponible aux formats papier et numérique 

Roman présélectionné pour le Prix les Afriques 2020

fleur v1

Publié dans Arrêt sur une oeuvre

Mur méditerranée – Louis-Philippe Dalembert

A Sabratha, sur la côte libyenne, les surveillants font irruption dans l’entrepôt où sont entassées les femmes. Parmi celles qu’ils rudoient pour les obliger à sortir, Chochana, une Nigériane, et Semhar, une Erythréenne. Les deux amies se sont rencontrées là, après des mois d’errance sur les routes du continent. Grâce à toutes sortes de travaux forcés et à l’aide de leurs proches restés au pays, elles se sont acharnées à réunir la somme nécessaire pour payer les passeurs, à un prix excédant celui d’abord fixé. Ce soir-là pourtant, au bout d’une demi-heure de route dans la benne d’un pick-up fonçant tous phares éteints, elles sentent l’odeur de la mer. Un peu plus tôt, à Tripoli, des familles syriennes, habillées avec élégance comme pour un voyage d’affaires, se sont installées dans les minibus climatisés garés devant leur hôtel. Ce 16 juillet 2014, c’est enfin le grand départ. Dima, son mari et leurs deux fillettes ont quitté leur pays en guerre depuis un mois déjà, afin d’embarquer pour Lampedusa. Ces femmes si différentes Dima la bourgeoise voyage sur le pont, Chochana et Semhar dans la cale ont toutes trois franchi le point de non-retour et se retrouvent à bord du chalutier, unies dans le même espoir d’une nouvelle vie en Europe.

L’entreprenante et plantureuse Chochana, enfant choyée de sa communauté juive ibo, se destinait pourtant à des études de droit, avant que la sécheresse et la misère la contraignent à y renoncer et à fuir le Nigeria. Semhar, elle, se rêvait institutrice, avant d’être enrôlée pour un service national sans fin dans l’armée érythréenne, où elle a refusé de perdre sa jeunesse.

Quant à Dima, au moment où les premiers attentats à la voiture piégée ont commencé à Alep, elle en a été sidérée, tant elle pensait sa vie toute tracée, dans l’aisance et conformément à la tradition de sa famille. Les portraits tout en justesse et en empathie que peint Louis-Philippe Dalembert de ses trois protagonistes avec son acuité et son humour habituels leur donnent vie et chair, et les ancrent avec naturel dans un quotidien que leur nouvelle condition de  » migrantes  » tente de gommer. Lors de l’effroyable traversée, sur le rafiot de fortune dont le véritable capitaine est le chef des passeurs, leur caractère bien trempé leur permettra tant bien que mal de résister aux intempéries et aux avaries. Luttant âprement pour leur survie, elles manifesteront même une solidarité que ne laissaient pas augurer leurs origines si contrastées.
S’inspirant de la tragédie d’un bateau de clandestins sauvé par le pétrolier danois Torm Lotte en 2014, Louis-Philippe Dalembert déploie ici avec force un ample roman de la migration et de l’exil.

l'Afrique écrit

La 4e de couverture est très bavarde et en dit beaucoup sur l’histoire. Elle a néanmoins le mérite de me faire économiser quelques lignes et d’aller directement à l’essentiel.

A chaque fois que trois femmes sont réunies dans un roman, je pense à celui de Marie Ndiaye : trois femmes puissantes.

Ici, il est question de trois femmes migrantes entre 20 et 30 ans. Syrienne, Erythréenne et Nigériane, elles sont. Elles n’ont pas la même religion. Dima est musulmane, Semhar est chrétienne, Chochana est juive. Je remercie l’auteur qui a ajouté un plus à ma culture générale. J’ignorais qu’il y avait des nigérians juifs. 

Ces trois femmes fuient leurs pays respectifs pour protéger leur vie ou avoir un avenir meilleur. 

A travers 11 chapitres où Chochana, Semhar et Dima prennent tour à tour la parole, le lecteur découvre comment elles en sont venues à quitter leur pays et ce qui se passera lors de la traversée.

Mur méditerranée est un roman dense. Tantôt porté par une plume raffinée, tantôt par des mots appartenant au registre familier.

C’est un roman très dur mais nécessaire pour raconter l’enfer des migrants. L’immigration clandestine est un véritable business. Les réseaux de passeurs concurrents sont comme la mafia. Et que dire du sort réservé aux clandestins en transit en Lybie ? Ils sont réduits en esclavage. 

Si j’ai compati à la situation de Chochana, je n’ai pas été touchée par la vie de Dima. J’ai détesté cette  syrienne raciste jusqu’au bout des ongles qui s’est nourrie des préjugés sur les noirs. Ce personnage de papier, je vous assure que je l’ai tuée au moins cinq fois. 

Le personnage qui a réellement attiré mon attention, celui auquel je me suis attaché, celui dont j’ai ressenti chaque mauvais traitement, chaque désespoir, chaque larme est celui de Semhar.

Son histoire m’a révélé l’Erythrée et son service militaire sans fin.

Le sndi, comme les jeunes l’avaient baptisé entre eux : Service national à durée indéterminée. Tu sais quand tu entres, jamais quand tu sors. Officiellement, l’appel sous les drapeaux durait un an et demi. Dans la réalité, tout dépendait de l’homme fort du pays, au pouvoir depuis l’indépendance acquise aux dépens de l’Éthiopie en 1993.

Malgré les risques encourus, ça valait le coup, fit Meaza. Avec Dawit, ils en avaient marre de gâcher leur jeunesse dans ce service militaire sans fin, avec une solde de misère qui pis est. Marre de vivre dans cette prison à ciel ouvert qu’était l’Érythrée, où des barrages et un sauf-conduit spécial filtraient le passage d’une ville à l’autre. Marre de ne voir aucun avenir ouvert devant eux. C’était ça, le plus dur à avaler.
Savoir tous les horizons bouchés. Ne pas avoir les moyens de se retourner, même après la longue période de conscription. L’espoir devrait être le dernier à mourir, non ? Ici, c’était tout le contraire. Quel sens pouvait avoir la vie dans un tel cadre ?

Je me suis attachée à cette jeune fille de 20 ans qui avait soif d’un ailleurs où sa jeunesse s’épanouirait en toute liberté. 

Les italiens et espagnols ont migré pendant des décennies dans le monde en quête d’un monde meilleur.  Pourquoi la migration des africains aujourd’hui ne serait pas légitime ? Chaque migrant porte un désespoir, une histoire qu’il faut respecter.

J’ai beaucoup apprécié Mur Méditerranée qui a été récompensé de trois prix à savoir le Choix Goncourt de la Pologne, celui de la Suisse et le Prix de la langue française en 2019.

Si vous êtes sensible au thème de l’immigration, vous devriez y jeter un coup d’œil.

Christmas

Roman présélectionné pour le Prix les Afriques 2020

Éditeur : Sabine Wespieser 

Date de publication :  Août 2019

Nombre de pages : 336 (format broché)

Disponible en version grand format, poche et numérique 

fleur v1

Publié dans Arrêt sur une oeuvre

Tous tes enfants dispersés – Beata Umubyeyi Mairesse

Peut-on réparer l’irréparable, rassembler ceux que l’histoire a dispersés ? Blanche, rwandaise, vit à Bordeaux après avoir fui le génocide des Tutsi de 1994. Elle a construit sa vie en France, avec son mari et son enfant métis Stokely. Mais après des années d’exil, quand Blanche rend visite à sa mère Immaculata, la mémoire douloureuse refait surface. Celle qui est restée et celle qui est partie pourront-elles se parler, se pardonner, s’aimer de nouveau ? Stokely, lui, pris entre deux pays, veut comprendre d’où il vient. Ode aux mères persévérantes, à la transmission, à la pulsion de vie qui anime chacun d’entre nous, Tous tes enfants dispersés porte les voix de trois générations tentant de renouer des liens brisés et de trouver leur place dans le monde d’aujourd’hui. Ce premier roman fait preuve d’une sensibilité impressionnante et signe la naissance d’une voix importante.

l'Afrique écrit

Roman choral. 3 générations prennent la parole, dévoilent leur intimité, habillent leurs douleurs, crient leurs silences. Immaculata, Blanche, Stokely sont unis par les liens du sang. Mère, fille, petit-fils.

3 voix qui évoquent le génocide des tutsi, l’exil, la culpabilité, le deuil, les relations intergénérationnelles rompues à cause de la distance, de l’histoire tragique.  

Le génocide des tutsi est un sujet douloureux qu’il m’est parfois difficile de lire. L’auteure ne décrit pas en détail les scènes de violence_ fort heureusement_mais les blessures non refermées. Elle évoque brièvement les pogroms des années 60.

La double culture et la transmission culturelle font également partie des thèmes percutants évoqués dans ce roman. 

Pour la mère de Stokely, ça ne s’était pas passé ainsi. Quand le père et la mère ne partagent pas la même langue maternelle, laquelle l’emporte ?

La transmission culturelle, le déracinement sont des sujets d’actualité notamment dans mon pays où rares sont les enfants du 21e siècle qui comprennent leur langue.

En France, l’assimilation fait également perdre les racines.

Tu vois ici des gens arrivent d’ailleurs depuis toujours. Des Italiens, des Russes, des Portugais, des Marocains, des Maliens. Les langues des pères et des mères ont été transmises sur une ou deux générations, elles ont parfois été coupées très vite parce qu’il fallait que les enfants deviennent de vrais Français. 

J’ai découvert la belle plume de l’auteure: un style maîtrisé, une écriture aérienne, un langage parfois châtié. Tous tes enfants dispersés est un roman qu’il faut lire lentement pour accueillir les silences, épouser les chagrins.

Christmas

Éditeur : Autrement

Date de publication : Août 2019

Nombre de pages : 256

Disponible aux formats papier et numérique 

Roman présélectionné pour le Prix les Afriques 2020

fleur v1

Publié dans Arrêt sur une oeuvre

Zébu Boy – Aurélie Champagne

Madagascar, mars 1947, l’insurrection gronde. Peuple saigné, soldats déshonorés, ce soir, l’île va se soulever, prendre armes et amulettes pour se libérer. Et avec elle, le bel Ambila, Zébu Boy, fierté de son père, qui s’est engagé pour la Très Grande France, s’est battu pour elle et a survécu à la Meuse, aux Allemands, aux Frontstalags. Héros rentré défait et sans solde, il a tout perdu et dû ravaler ses rêves de citoyenneté. Ambila qui ne croit plus en rien, sinon à l’argent qui lui permettra de racheter le cheptel de son père et de prouver à tous de quoi il est fait. Ambila, le guerrier sans patrie, sans uniforme, sans godasses, sans mère, qui erre comme arraché à la vie et se retrouve emporté dans les combats, dans son passé, dans la forêt.

Roman de la croyance, du deuil et de la survie, Zébu Boy fait naître les fleurs et se changer les balles en eau. Tout entier traversé d’incantations, ce premier roman qui oscille entre destin et pragmatisme, est porté par une langue puissante et fait entendre la voix mystérieuse qui retentit en chaque survivant.

l'Afrique écrit

Le récit débute par un rappel historique. Le narrateur évoque ces 70 mille indigènes de diverses nationalités qui furent parqués dans des Frontstalags sur le sol métropolitain ainsi que ces rumeurs sur les tirailleurs malgaches.

Vingt-cinq mille hommes succombèrent et tous les contingents furent décimés. Tous, à l’exception des Malgaches. Au recensement suivant, les Allemands s’aperçurent même qu’ils étaient plus nombreux qu’à l’arrivée. On suspecta les soldats des registres d’avoir bâclé le travail. Mais dans le secret des cabanons nègres courait une tout autre rumeur. On disait qu’une poignée de tirailleurs malgaches avait acquis le pouvoir de se multiplier.

Le lecteur découvre ensuite celui qui sera le personnage central du récit : Lahimbelo appelé encore Ambila. De retour à Madagascar après avoir combattu dans la Meuse, Ambila  a été prié d’embarquer prestement pour son île natale, sans la citoyenneté promise, sans un sou, avec juste de vagues promesses de paiement d’arriérés de solde et de primes, des promesses qui ne seront pas tenues. Ambila retrouve son statut misérable d’indigène. Fauché, il se donne pour but de s’enrichir et de reconstituer le cheptel de son défunt père. Pour ce faire, il va vendre des aodys, des amulettes qui protègent les guerriers. Ses amis malgaches en ont besoin en pleine insurrection pour l’indépendance. Déterminé à s’enrichir, il n’a aucun scrupule, il arnaque tout le monde sans aucune distinction.

Cet ouvrage m’a permis de découvrir une partie de l’histoire Malgache : l’insurrection de 1947 et la violente répression militaire.

Et ça permet d’oublier une seconde qu’on sera peut-être les prochains en « salle de réflexion ». C’est comme ça qu’ils surnomment la salle de torture.

On raconte qu’ils balancent des rebelles vivants des avions. Les corps en touchant terre explosent, défoncent le toit des maisons. Ils appellent ça des « bombes démonstratives».

Ce roman a le mérite d’évoquer des faits historiques absents des manuels scolaires notamment le massacre de Thiaroye et ces tirailleurs sénégalais qui ont participé à la répression des rebelles malgaches.

Zébu boy est également l’histoire des croyances ancestrales malgaches. Quelques légendes  sont insérées dans le récit.

Zébu boy c’est l’histoire des combattants des colonies mal remerciés, du peuple malgache aspirant à la liberté.

C’est l’histoire de ceux qui survivent au pire, ceux qui restent et doivent vivre avec l’absence d’un être cher. Si j’ai eu du mal à m’attacher au personnage d’Ambila en raison de sa cupidité et malhonnêteté, j’ai trouvé émouvant les passages où la mort de sa mère est évoquée. 

J’ai eu beaucoup de mal avec la charpente du roman. Il n’y a pas de chapitre et cette absence rend le texte touffu, parfois confus. Le ton est fluide mais il y a de nombreux mots malgaches dont on ignore la signification. Un glossaire aurait été judicieux.

Deux types de narration sont utilisés dans le roman : point de vue externe et interne (lorsque Ambila devient le narrateur) et je n’ai pas compris ce choix de l’auteure. 

Zébu boy ne figure pas parmi mes meilleures lectures de l’année mais reste un livre à découvrir ne serait ce que pour les faits historiques qu’il met en lumière.

Christmas

Éditeur : Monsieur Toussaint Louverture

Date de publication :  2019

Nombre de pages : 256

Disponible aux formats papier et numérique 

Roman présélectionné pour le Prix les Afriques 2020

fleur v1

Publié dans Arrêt sur une oeuvre

Hadja Binta – Badiadji Horrétowdo

Lorsque la vie de la princesse Binta bascule à Garoua, dans le Nord-Cameroun, Hadja Binta l’ignorait sans doute,« La Halmata holding n’a jamais eu la délicatesse de remettre à l’eau une baleine échouée sur sa plage »!

Badiadji Horrétowdo signe un nouveau roman, plein d’audace et de sensibilité, qui explore l’univers peu connu d’une prostitution qui s’ignore dans le microcosme de la communauté du Sahel à Douala.

l'Afrique écrit

La bêtise a ceci de terrible qu’elle peut ressembler à la plus profonde sagesse. Valery Larbaud

J’aime ces citations de début de roman qui donnent envie de s’aventurer dans les prochaines pages.

Hadja Halmata est le 1er personnage que l’on rencontre. Une musulmane pieuse qui est à la tête d’une … maison close.

Hadja Halmata prend soin de ses protégées, celles qui sont à la source de son entreprise florissante. Elle leur donne astuces, potions pour attirer vers elles les hommes de leurs vies.  Ce rêve que ces jeunes filles miroitent a été le sien il y a des années. 

Le lecteur découvre sa vie de femme, d’épouse 

Elle se souvenait : j’étais une épouse, si l’on veut ! Mais je me voyais surtout en domestique ; une domestique sur qui l’employeur passait ses nerfs, qu’il battait et tapait, violentait et violait, quand cela lui chantait ! Au prix d’un indicible chagrin, elle devait garder le silence, accepter stoïquement la condition qui était la sienne, synonyme d’une femme bien éduquée, digne et exemplaire, une femme authentique ! Un modèle dans le genre. Mais il est des douleurs qui ont des limites ! admettait-elle.
Le chemin du Paradis ne devrait pas être synonyme de l’enfer ! Nul ne mérite la souffrance ! Aucune femme ne naît à dessein de souffrir !

Et pourtant ici, une femme qui dit « non » à son époux n’est qu’une rebelle. C’est l’homme qui règne dans le foyer conjugal, c’est tout naturellement lui qui dicte la mesure, c’est lui qui répudie aussi !
Sa vie dans le Septentrion voguait entre mariages et divorces qui lui valurent au demeurant le titre honni de rebelle ! Celle que l’on ne devrait plus épouser, puisque de toute façon, elle s’enfuirait au premier prétexte, disait-on.

Hadja Halmata quitte le Nord pour le Sud. A défaut d’amour, elle se concentre sur les affaires. Un restaurant où l’alcool n’est point servi puis la maison close où atterrit Hadja Binta. 

Adolescente, elle fut mariée à 14 ans à un homme de seize ans son aîné, l’un des employés de son père, un richissime homme d’affaires.

Le mariage d’amour, nous n’en connaissons pas et d’ailleurs, que peut-il signifier pour une fille mariée à un âge où elle vient à peine de vivre ses premières menstruations, si ce n’est que l’homme avec lequel elle est amenée à partager sa vie est simplement son amour ?

Hadja Binta a vécu dans l’opulence jusqu’à la déchéance de son père. Une déchéance qui signifie le début des violences conjugales pour Hadja Binta.

Comme Hadja Halmata, elle a quitté le Nord pour le Sud.

Comme les jeunes femmes qui composent le harem de Hadja Halmata, elle rêve d’un mariage digne de son statut qui lui permettra surtout de retrouver les lumières. Mais ce rêve est-il réalisable dans ce réseau de prostitution déguisée ? 

Hadja Binta est une lecture intéressante et révoltante sur le mariage précoce, la condition des femmes au Sahel où elles sont objet, propriété de l’Homme qu’il soit père ou mari.

Pour nous autres femmes, le chemin qui mène au mariage est bien sûr à prendre très au sérieux, c’est notre héritage, et notre destinée de femme. Sans le mariage nous ne valons rien ou pas grand-chose. C’est le mariage qui donne sens et raison d’être à la vie de nos jeunes femmes. N’est-ce pas, ma fille ?

Le narrateur parle sans ambages de l’hypocrisie humaine qui se sert du nom de Dieu comme d’un voile pour cacher ses vilenies. Il expose l’hypocrisie des croyants musulmans qui interprètent les textes sacrés à leur guise, s’adonnent à la fornication mais jugent le musulman qui boit. 

Il dresse le portrait d’une élite qui préfère donner du poisson plutôt qu’apprendre à pêcher au démuni afin de continuer à bénéficier des louanges. 

Hadja Binta offre une écriture fluide au lecteur, un langage courant agrémenté du camfranglais. 

Ce fut une sympathique découverte pour moi.

Christmas

Éditeur : Proximité

Date de publication : Mars 2019

Nombre de pages : 268

Disponible aux formats papier et numérique 

Roman présélectionné pour le Prix les Afriques 2020

fleur v1

Publié dans Arrêt sur une oeuvre

Dérangé que je suis – Ali Zamir

derange que je suis

Sur l’île d’Anjouan, Dérangé est un humble docker. Avec son chariot rafistolé et ses vêtements rapiécés, il essaie modestement chaque jour de trouver assez de travail pour se nourrir. Mais un matin, alors qu’il s’est mis à la recherche d’un nouveau client, Dérangé croise le chemin d’une femme si éblouissante qu’elle « ravage tout sur son passage ». Engagé par cette femme dans un défi insensé qui l’oppose au Pipipi (trio maléfique des trois dockers Pirate, Pistolet et Pitié), le pauvre homme va voir son existence totalement chamboulée.

l'Afrique écrit

La belle insiste,

ma bête persiste

Deux vers qui dès les premières pages donnent déjà le ton au récit. Nul n’entre ici s’il n’aime la poésie et ses multiples facettes…

Le narrateur crie sa douleur.

Le cri est une arme de destruction massive. Non, plutôt une arme de protection massive. Il ne rend pas faible, loin de là. Il libère. Juste ça. Oui. C’est la seule consolation d’un souffre-douleur sur qui pleut l’oppression et brille la longanimité. Le véritable témoin d’une victime. Un témoin fidèle.

On l’appelle Dérangé à son insu et il nous raconte la cause de sa douleur.  Dérangé est docker au au port international Ahmed-Abdallah-Abderemane de Mutsamudu et la concurrence est rude.

Un jour, alors que les PiPiPi (Pirate, Pistolet et Pitié), un trio d’enfer et lui se précipitent au-devant d’un bateau en quête d’un chargement à convoyer, une magnifique dame descend du bateau et loue les services de Dérangé. Les PiPiPi sont dépités. La femme propose alors au trio et à Dérangé de relever un étrange défi. Nul ne sait à cet instant qu’elle a en tête un autre défi plus sombre à proposer à Dérangé….

Ce roman aux parties aux longueurs plus ou moins variées se lit d’une traite. 

Si l’auteur  décrit le quotidien d’un docker aux Comores, il évoque également le harcèlement sexuel subi par les hommes. 

Ali Zamir utilise ces mots qui ne sont plus d’usage, ces mots délaissés, oubliés pour incarner son personnage principal. Il garde sa particularité : celle de donner comme nom à ses personnages des adjectifs: casse-pied, pitié, pirate, dérangé.

Dérangé que je suis offre une valse à différents tempos, un patchwork linguistique : registre courant, soutenu et familier.

L’auteur manipule à sa guise la langue française mais il faut avouer qu’il ne laisse pas totalement la voix à son personnage. En effet, il ne lui permet pas de s’exprimer tel qu’un docker le ferait.   

Christmas

Éditeur : Le Tripode

Date de publication : Janvier 2019

Disponible aux formats papier et numérique 

Roman présélectionné pour le Prix les Afriques 2020

fleur v1