Publié dans Arrêt sur une oeuvre

TTL 115: Gran Balan – Christiane Taubira

Qui dit jeudi, dit Throwback Thursday Livresque ! Cette semaine, le thème est : un roman qui vous a surpris (positivement ou négativement).

Et j’ai choisi le roman de Christiane Taubira. Est-ce une surprise positive ou négative ?

Couverture Gran Balan

« Le monsieur à toge et épitoge a déjà tourné les talons. Il semble à sec sur le contenu, alors il pallie par le ton. Il interroge à la mitraillette. Il veut du oui ou du non, pas un roman.
Lui, Kerma, a envie d’expliquer, non, on ne vit pas tout un mois avec mille cent trente-six euros. Dès le dix-huit du mois, oui, on a besoin, et presque chaque jour, de ces quinze euros. L’essence, l’assurance, la nourriture, rester correctement vêtu et chaussé, après avoir payé le loyer l’eau l’électricité la taxe d’habitation la redevance télé les abonnements de sport de portable de streaming, ok ce n’est pas indispensable, mais à vingt-et-un ans… Maintenant il a vingt-cinq ans, et il est vrai qu’il s’en passe, par la force des choses… Mais personne ne semble disposer à entendre, moins encore à écouter. Alors, il répond, non je n’en ai pas besoin. C’est un mensonge de bonne foi. Ceux que l’on fait pour quelqu’un d’important. Et comme on est de bonne foi, on finit par y croire, on le répète à l’envi… Les mensonges sont faits pour vous sauver. Ceux-là, ceux de bonne foi, ce sont les pires. A tous les coups ils vous coulent. »

Kerma est au tribunal. Il a servi de taxi à deux jeunes ayant commis un méfait. Quinze euros de gagnés qui risquent de lui valoir des années de prison. Ici, en Guyane, le regard des juges est sans doute pire comme sanction. Mais qu’a-t-il fait ? Quelle est sa vie ? Et qui sont les différents personnages du premier roman de Christiane Taubira ? Des jeunes, des femmes, des mères courages, des éducateurs engagés, des élus, des gens de peu et de beaucoup, des villages perdus, des éloignés du Surinam, des palabreurs, des conteurs, des arbres éxitiques, des animaux qui le sont autant… Avec une verve éblouissante, l’ancienne Garde des Sceaux brosse un tableau magnifique et terrifiant, vrai et fictionnel des coutumes, des mots, des traditions, des mœurs, des violences, des errances comme des miracles de cette terre qu’elle connait bien et aime tant. Un livre qui parle au cœur, aux tripes, qui donne à rêver, sourire, s’émouvoir, pleurer, autant que réfléchir.

Ce roman de plus de 400 pages se construit autour de huit personnes et chapitres : Kerma, Hébert, Pol-Alex, Dora, Sula, Sang-nom, Elles, Ellen.

A travers les prises de parole de ces jeunes qui ont entre 18 et 24 ans, on découvre l’histoire du Suriname et de la Guyane, les traditions et le carnaval de Cayenne et surtout les réalités socio-économiques de la Guyane.

Les raisons de sombrer sont multiples. Le faible attrait du milieu scolaire, l’échec des structures d’insertion professionnelle, le chômage, le manque de loisirs, l’ennui. C’est franchement dur, injuste et démoralisant de vivre sa jeunesse en Guyane.

Kerma est l’un des jeunes travailleurs, vif, encore jeune, vingt et un ans, mais déjà malmené par la vie sans perspective et presque sans joie que l’incurie politique réserve à ceux de son âge ; les filles ne sont pas épargnées, qui doivent se résigner à peine moins que les garçons soit à courir après une vie meilleure sur l’autre bord de l’Atlantique, soit à végéter dans des gagne-pain
qui sont plus des jobs que des emplois, quels que soient leurs capacités et leurs potentiels.

Ces gens-là ne croient en rien. On dirait que pour eux, les jeunes ici, c’est comme des agratiches ou des araignées-case : c’est là, on les voit aller et venir, ce n’est pas dérangeant à condition que ça reste à gambader sur les murs et au plafond, à gober les mouches et tisser des toiles dans les angles. Il faut dire que ces manières de faire sont pareilles dans des tas d’autres domaines où on tient bien pareillement à l’écart les jeunes et les autres publics locaux : ça vaut pour les opérations archéologiques, par exemple, qui reçoivent chaque année en stage des jeunes venus d’ailleurs.

La géopolitique qui décide pour les autochtones est également évoquée

L’international, c’est quand ça les arrange, quand il faut donner des leçons aux habitants et les exclure des décisions sur leur territoire, quand il faut remettre en question leurs habitudes culinaires. En effet, les générations précédentes ont été consommatrices régulières d’œufs de tortue, source de protéines, alors qu’elles n’en ont jamais consommé la viande. Les œufs ont nourri beaucoup de familles pauvres. Il est vrai que maintenant le RSA est arrivé jusque-là ; et bien que ce serait aux familles qui le reçoivent qu’il reviendrait de dire ce qu’elles en pensent, il n’est pas sûr qu’elles y aient gagné. Le commerce d’importation de surgelés, lui, sûrement.
N’empêche, ajoute Karijal, un soupçon d’amertume dans la voix, l’international, c’est quand ça les arrange : zones humides, convention de New York, convention de Washington, etc., c’est place aux animaux, les hommes, sortez ! Seulement la Convention de l’ONU sur les droits des peuples autochtones, c’est juste pour faire joli. Quant à la Convention de l’OIT sur la reconnaissance des droits des peuples autochtones, une qui est contraignante et à notre avantage, alors là, connaissent pas, ou plutôt oui, mais ils ont tout leur temps, ils t’expliquent la république une et indivisible, et les nations, c’est pas les tribus, pardon, lapsus, les communautés…

Si les thématiques abordées sont pertinentes, j’ai été déçue par le style de narration de Mme Taubira. Le style est lourd avec des détails et descriptions superfétatoires. Le récit est à la lisière de l’essai, du documentaire, du roman historique.

La liste des personnages présents dans le roman est aussi vaste que la Guyane et le Suriname. On s’y perd, se retrouve pour s’y perdre davantage. J’apprécie la verve de Mme Taubira mais ce roman a été une déception pour moi.

Un amour interdit Alyssa Cole

C’est un mensonge de bonne foi. Ceux que l’on fait pour ne pas contrarier quelqu’un qu’on aime ou quelqu’un d’important. Et comme on est de bonne foi, on finit par y croire, on le répète à l’envi… Les mensonges sont faits pour vous sauver.
Ceux-là, ceux de bonne foi, ce sont les pires. À tous les coups, ils vous coulent.

Avez-vous déjà lu Christiane Taubira ?