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Nouvelles du monde #13 : Guadeloupe

Aux Antilles, « identité » est un terme souvent utilisé. Il en est souvent question dans les écrits ou les discours des Antillais, des Guadeloupéens en particulier, ce dont témoigne la riche littérature de l’île. D’identité, d’âme, de l’île et de son peuple, chacune des nouvelles ici réunies s’en fait l’écho. L’appel de l’île et ses sortilèges parcourent ces textes de l’un à l’autre, que tel personnage soit à Paris ou que tel autre revienne de Montréal.

Ta mission de Gisèle Pineau

Marny, une jeune Guadeloupéenne vait été rondelette dans le passé. Au collège, on la surnommait Bouboule. A Pointe-à-Pitre, elle avait appartenu à un groupe : les Pretty Girls qui aimaient remplir la bouche qu’on voit et aussi celle qu’on ne voit pas.

Lors d’une nuit de carnaval, Marny entend des voix, commence à regarder la nourriture d’un autre œil. Trois ans plus tard, elle se retrouve en métropole. Devenue anorexique, elle entend toujours ces voix mystérieuses qui semblent lui indiquer une mission…

Le coq rouge Jaffar ou le maléfice de Satan de Fortuné Chalumeau

Croyances populaires et rites chrétiens se répondent sous l’œil soi-disant maléfique du coq Jaffar.

Du fond des casseroles de Simone Schwarz-Bart

L’âme de la Guadeloupe s’exhale du fond des casseroles. L’auteur évoque ce que représente la cuisine créole, cuisine de partage, acte de communion avec la nature et les hommes. Une nouvelle bien trop courte. J’aurais voulu saliver, avoir un réel dépaysement culinaire.

La femme-fleuve d’Ernest Pépin

Koan l’orphelin à la patte folle, constructeur de pirogues aime en silence Moimanman, une jeune élève qui s’est rapprochée de lui dans le cadre d’un exposé sur la construction de pirogues. Koan lui apprend qu’il y a science et science, que l’on peut connaître avec d’autres yeux que ceux de l’école. Koan raconte la mémoire du fleuve.

Le récit évoque la Guyane notamment à travers les Boni et les différents peuples de la Guyane. Je n’ai pas saisi la place de ce récit dans un recueil de nouvelles évoquant la Guadeloupe.

L’odeur de la terre humide de Dominique Deblaine

C’est la nouvelle la plus longue du recueil. Elle est subdivisée en 5 parties. Honoré, un peintre exilé à Montréal, retourne en Guadeloupe. Il est en pleine quête de soi, du retour à sa terre, et à soi-même. En racontant son parcours de vie, il nous présente ceux qui l’ont côtoyée. Des personnes qui ont pour commun le fait d’être affranchis du regard de l’autre. La parentalité est également évoquée.

Dominique Deblaine utilise un langage imagé qui plaira sûrement aux amateurs des belles lettres.

Cette 13e étape dans mon tour du monde littéraire à travers la collection miniatures a été intéressante mais pas mémorable. Je suis encore à la recherche de la perle rare, de la lecture éblouissante.

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TTL 97 : Le mal de peau – Monique Ilboudo

Qui dit jeudi, dit Throwback Thursday Livresque. Cette semaine, le thème est: Scolaire.

Ce thème m’a fait penser au mal de peau de Monique Ilboudo pour deux raisons. La première: l’un des personnages principaux part faire ses études universitaires en France, la vie estudiantine est évoquée. La seconde, vous la découvrirez dans mon avis.

Couverture Le mal de peau

Le Mal de peau met en parallèle le destin de deux femmes, Sibila, la mère, et Cathy, la fille. Ces deux femmes vont, chacune dans leur époque, se trouver confrontées au colonisateur blanc. A l’image de son peuple, Sibila sera violée par le commandant de cercle. Née de ce viol, Cathy a du mal à vivre sa différence, et n’a qu’un rêve : retrouver son géniteur. A vingt ans, elle traverse la mer et vient étudier en France. Elle découvre Paris et sa banlieue, l’université, et tombe amoureuse d’un jeune Blanc. Mais après la mère, le destin de la fille sera à son tour marqué par les forces sombres de la colonisation.

Deux femmes, une lignée. Le mal de peau c’est leur histoire commune et leurs parcours de vie. On suit de façon alternée la vie de Sibila, la mère de Cathy au Tinga et Cathy qui part faire ses études universitaires en France.

Alternance de lieux mais aussi d’époque. Le Tinga colonial et post-colonial.

Dressons d’abord le portrait de la mère. Une femme que la vie n’a pas épargnée. Son père tente de la marier de force, elle est ensuite violée par un colon. Ces événements ont-ils conditionné sa vie sentimentale ? C’est l’impression qu’on a car Sibila enchaîne les déboires sentimentaux. J’ai eu de la peine pour cette mère célibataire qui tente à travers les hommes qu’elle rencontre de trouver un père pour ses enfants.

Cathy est le fruit d’un acte sexuel non consenti. Métisse, elle subit des rejets à l’école. Elle rêve de connaître son père. Ses études universitaires la mènent en France et elle y rencontre un jeune homme blanc issu d’une famille où le mélange des races ne fait pas partie des vœux.

Dans ce pays qui n’est pas le sien, elle se frotte au racisme, au rejet. Le mal de peau refait surface.

Défis de mère célibataire, racisme dans les années post-coloniales, métissage et sentiment d’entre-deux sont les thématiques de ce roman.

Thématiques intéressantes mais j’ai eu du mal au bout d’un certain temps avec la narration académique, le ton didactique. J’ai hélas trouvé que certaines descriptions étaient inutiles à mon sens.

Je ne me suis pas vraiment attachée aux personnages. J’ai trouvé que l’histoire de Sibila était plus vivante que celle de sa fille.

Et que dire du dénouement ? Une véritable déception ! Quel était le but de l’auteur: choquer le lecteur, déclencher une avalanche de larmes, rendre son histoire inoubliable ? D’autres péripéties auraient été nettement judicieuses. Oui, une vie qui commence et s’achève dans le malheur, c’est un fait, mais qu’elle nous présente un clap de fin de ce genre, ça n’a aucun sens pour moi.

Quel livre auriez-vous proposé pour ce thème ?

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TTL 93 : Aldobrando de Gipi et Luigi Critone

Heureux mois de juillet à tous !

Qui dit jeudi, dit Throwback Thursday Livresque. Cette semaine, le thème est: dessin

J’ai immédiatement pensé à

Couverture Aldobrando

Avant de « descendre combattre à la Fosse » le père d’Aldobrando sachant son heure venue, le confia à un mage. Celui-ci devrait le protéger et l’éduquer jusqu’à ce qu’il soit en âge de découvrir le vaste monde. Quelques années plus tard, voilà que la préparation d’une potion tourne au drame. Grièvement blessé à l’oeil par un chat qui ne voulait pas bouillir, le mage demande à son jeune protégé d’aller en urgence lui quérir l’Herbe du loup.
Mais comment peut-on se débrouiller en botanique alors que l’on a jamais mis un pied dehors et que l’on tombe né à né avec l’assassin du fils du Roi de Deux Fontaines ?

De cette bande-dessinée, j’ai beaucoup apprécié les illustrations. D’une planche à l’autre, l’on passe des teintes froides aux nuances chaudes. Et l’aquarelle donne un charme particulier à l’histoire.

Aldobrando – Un conte, une quête, et une superbe surprise de 2020 (...) -  ActuaBD

La quête initiatique d’Aldobrando au cœur de l’époque médiévale est intéressante. Ce jeune homme qui n’a jamais connu le monde extérieur va devoir sortir de sa zone de confort et découvrir le monde avec ses merveilles et ses noirceurs. Dans sa quête de l’herbe du loup, Aldobrando va faire de douces rencontres mais aussi des rencontres ténébreuses.

J’ai beaucoup apprécié les personnages secondaires à savoir le valet du prince qui est une sacrée crapule soit dit en passant et le roi. Ces deux personnages apportent des touches d’humour au récit qui de prime abord est assez mélancolique.

J’ai également trouvé le dénouement bien pensé, il cadre avec la quête initiatique d’Aldobrando.

Cette BD est sympathique à lire mais il m’a manqué un-je-ne-sais quoi. Peut-être plus d’action, de rebondissement. Le candide Aldobrando est un personnage sympathique mais je ne me suis pas vraiment attachée à son personnage.

Quel livre auriez-vous proposé pour ce thème ?

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L’autre moitié de soi – Brit Bennett

Six chapitres forment la charpente du livre et couvrent plusieurs périodes : 1968 – 1978 – 1982 – 1985/1988-1986.

Les personnages principaux sont Desiree et Stella, des jumelles qui ont quittées Mallard, leur ville natale, dans le Sud de l’Amérique.

Le chapitre Un s’ouvre sur le retour de l’une des jumelles en avril 1968. 15 ans se sont écoulés depuis leur fugue. Elles avaient 16 ans à l’époque.

Desiree a le teint clair et ce qui choque les habitants de sa ville, c’est le teint noir-bleu de sa fillette. Il faut dire qu’à Mallard, on ne se mariait pas avec plus noir que soi.

Mallard tirait son nom des canards au cou cerclé de blanc qui habitaient les rizières et les marais. Une de ces villes qui sont une idée avant d’être un lieu. L’idée, elle était venue à Alphonse Decuir en 1848, alors qu’il se tenait dans les champs de canne à sucre légués par un père dont il avait lui aussi été la propriété. À présent que le père était décédé, le fils affranchi voulait construire sur ses terres quelque chose qui défierait les siècles. Une ville pour les hommes tels que lui, qui ne seraient jamais acceptés en tant que Blancs mais qui refusaient d’être assimilés aux Nègres.

Le fondateur de cette ville était obnubilé par la couleur

Il avait épousé une mulâtresse encore plus pâle que lui, et lorsqu’elle était enceinte de leur premier enfant, il imaginait les enfants des enfants de ses enfants, toujours plus clairs, comme une tasse de café qu’on diluerait peu à peu avec du lait. Un Nègre se rapprochant de la perfection, chaque génération plus claire que la précédente.

Et il a transmis cette obsession aux habitants de la ville. Desiree, arrière-arrière-arrière-petite-fille du fondateur de la ville, en a marre. L’arrêt de leur scolarité, décidée par leur mère va convaincre sa sœur Stella à s’enfuir avec elle. Stella aimait l’école et rêvait d’enseigner un jour.

Un an après leur fugue, leurs vies se scindent en deux, aussi nettement que l’œuf dont elles étaient issues. Stella était devenue blanche et Desiree avait épousé l’homme le plus noir qu’elle avait pu trouver.

Pourquoi ces trajectoires de vie différents ? Qu’est-ce qui avait poussé Desiree à revenir sur ses pas ? Que devenait Stella ?

Ces questions sont le cœur de l’intrigue. Des thèmes percutants et d’actualité sont traités dans ce dense roman: colorisme, déni des origines, quête d’identité, affirmation de soi, transidentité, violences conjugales, racisme, féminisme blanc/féminisme afro-américain.

J’ai beaucoup apprécié les thèmes abordés mais je ne me suis pas vraiment attachée aux personnages. J’ai d’ailleurs détesté le personnage de Stella que j’ai trouvé lâche et encore plus le dénouement du récit en ce qui la concerne.

L’autre moitié de soi a été une lecture intéressante mais pas mémorable.

Un amour interdit Alyssa Cole

Mais, même dans cette drôle de ville où on n’épousait pas plus noir que soi, on restait des gens de couleur, ce qui signifiait qu’on pouvait être tué juste parce qu’on essayait de s’en sortir.

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TTL 65 : Tunis Blues – Ali Bécheur

Qui dit jeudi, dit Throwback Thursday Livresque. Cette semaine, le thème est : Artiste

N’ayant pas en tête un livre où l’un des personnages est un artiste, j’ai décidé d’interpréter le thème à ma guise. 

Dans ma bibliothèque, une 4e de couverture évoque un artiste

Dans ma bibliothèque, une 4e de couverture évoque la poésie.

Dans ma bibliothèque, une 1ère de couverture a un graphisme artistique.

 

Il s’agit de Tunis Blues 

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Quand l’été n’est plus que cendres, Tunis a le blues. Et le monde n’est plus qu’un piano désaccordé.
Le temps d’une saison, Jimmy, le déraciné, oiseau de nuit en quête d’aventures, croise le chemin d’Ismaïl, le juge solitaire et rigoriste, exaspéré par le comportement de ses concitoyens et leurs mœurs ostentatoires. Le destin les guidera vers des amours improbables avec Lola, la voyante au grand cœur, Elyssa la jeune bourgeoise passionnée, et Choucha, la journaliste, femme libre et intransigeante.

Une partition à cinq voix où vibrent, du vieux quartier de La Fayette à la colline de Sidi Bou Saïd, l’âme de la ville, les blessures de la vie et l’appel d’un monde à inventer.

À lire comme on écoute du Miles Davis…

l'Afrique écrit

Des vies qui s’épanchent, se racontent, une description de la ville de Tunis qui je trouve à des points de ressemblance avec Abidjan notamment en ce qui concerne les embouteillages.

Jimmy est celui qui ouvre le bal. Qui est ce jeune homme aimant se vêtir de noir, part à la chasse dans les boîtes de nuit, repère une proie, passe la nuit avec elle et lui fait les poches ? Au fil du récit, on découvre son histoire, l’histoire d’un déraciné…

On découvre également l’histoire du juge Ismaïl, de Lola, la voyante, Choucha la journaliste et Elyssa la jeune bourgeoise. Leurs destins s’entrecroisent, des histoires multiples, un blues partagé.

Chacun raconte ses blessures et ses espoirs. Ces personnages sont plaisants à suivre, mon personnage coup de cœur a été Lola. J’ai été touchée par son grand cœur et son réalisme.

J’ai été charmée par la plume de l’auteur. J’ai apprécié ses envolées philosophiques qu’il m’a fallu relire plusieurs fois comme cet extrait 

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J’aimerais bien lire une autre œuvre de cet auteur dans un avenir proche.

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Et ma langue se mit à danser de Ysiaka Anam

Peut-être qu’entrer profondément dans la langue de l’Autre, c’est risquer de voir disparaître sa langue à soi ; celle qui résonne dans notre tête et nous rappelle qui on est. Peut-être n’y a-t-il rien de plus affolant que de voir disparaître sa langue. C’est perdre un chez soi.

 

De notre narratrice on ne connaît qu’une lettre de son nom : Z.

D’origine africaine, elle arrive en France à un âge où la mémoire n’a pas laissé de trace. 

Z. grandit en s’éloignant de sa terre d’origine, sa langue maternelle. L’immigration, l’intégration entraînent souvent l’oubli du « soi » d’origine. On ôte une peau pour en revêtir une autre. Il faut choisir son camp, la double culture est parfois mal perçue.

Z. est entre deux eaux. Elle ne sait pas véritablement ce qu’elle est. En France, elle se sent noire, ressent une différence continue avec les autres. Elle a l’impression de ne pas être tout à fait à sa place.

Tout me rappelle que je ne suis « pas d’ici ».

Son identité ? Z. ne sait comment la définir. Les parents immigrés ont peur de ne plus se reconnaître dans leurs enfants. Ils leur demandent de ne pas devenir comme des blancs, de garder leur africanité. 

 

Ne deviens pas comme eux, dit-il. Ne deviens pas comme eux, les Blancs. Réussis aussi bien qu’eux, montre-leur que tu peux faire comme eux. Mais, ne te prends pas pour eux. Ne crois pas que tu es comme eux. Ni qu’ils te considèrent pleinement comme des leurs. Ne te confonds pas avec eux. N’oublie pas qui tu es, vraiment,

Et d’où Tu viens, Toi, d’où On vient, Nous.

Mais comment garder l’identité des parents quand on n’en maîtrise pas assez bien la langue, les manières, les codes, lorsqu’on ne connaît pas leur histoire ?

Comment se construit-on à partir d’un si grand trou sur celui qui nous a engendré ?

 

Face à cette demande impossible, chacun se débrouille, mais toujours mal. Il y a ceux qui ont refusé dur comme fer de trahir le premier camp, qui devra rester leur référence, coûte que coûte. Il y a les autres, qui ont choisi de s’évader pour se réfugier dans l’autre camp. Et puis il y a aussi ceux qui sont restés à côté, hors-jeu, ou sur la ligne de démarcation. C’est cette place-là que j’ai choisie, moi. Une non-place. Double compromis : double refus.

Et ma langue se mit à danser s’inscrit dans l’actualité du moment. Il pose des questions essentielles comme l’a fait Je suis quelqu’un d’Aminata Aidara.

Il souligne l’importance de l’affirmation de soi, la transmission de l’identité culturelle, historique. Il met en évidence les effets secondaires de l’intégration. L’écriture d’Ysiaka est belle, poétique, son style poli.

Ce n’est pas la lecture du siècle mais elle demeure une lecture intéressante.

 

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