
Amy Elizabeth Biehl, boursière Fulbright, a été attaquée et tuée par une foule de jeunes Noirs à Guguletu, en Afrique du Sud, en août 1993. Généralement, dans des affaires comme celle- ci, on parle beaucoup, à juste titre, de l’univers de la victime : sa famille, ses amis, son travail, ses intérêts, ses espoirs et aspirations. Le cas Biehl n’y a pas échappé. Et pourtant, n’y aurait- il pas des leçons à tirer d’une connaissance de l’autre univers ?
Quel était l’univers des tueurs de cette jeune fille, l’univers de ceux dont l’environnement a négligé de cultiver en eux les grands idéaux de l’humanité et qui, tout aussi jeunes que leur victime, sont devenus des créatures perdues, habitées par la malveillance et la destruction ?
A travers son roman, Sindiwe Magona nous immerge dans l’univers d’un tueur. Par l’entremise des souvenirs de la mère de ce dernier, Sindiwe Magona fait entrevoir la dureté humaine qui a rendu possible le meurtre d’Amy Biehl.

Mon fils a tué votre fille.
C’est sur cette phrase que débute le roman, la lettre d’une mère (dont le fils est coupable) à une mère (dont la fille est victime).
Les gens me regardent comme si je l’avais fait moi- même. Les plus généreux, comme si je l’avais poussé à le faire. Comme si j’avais toujours pu tout faire faire à cet enfant.
Ce roman est le monologue d’une douleur qui écrit à une autre douleur. La mère du tueur, désemparée et éplorée, scrute sa mémoire et examine la vie que Mxolisi, son fils a connue… son univers. En quête de réponses pour elle-même, elle parle à l’autre mère.
Le lecteur voit l’Afrique du Sud de l’intérieur, Le peuple noir dépossédé, mis à l’écart.
– Ils sont forts pour nous donner des traitements pour lutter contre la tuberculose, reconnut Lwazi. mais pas pour les livres ni pour les enseignants.
– La tuberculose, ça s’attrape, tu ne le savais pas ? demanda Sazi. Les Boers ont la trouille qu’on la leur refile.
Ségrégation, création des townships et expulsion de la population noire des villes vers les banlieues.
Des enfants livrés à eux-mêmes avec une haine féroce en héritage et qui se traduit par une violence sans nom.
la tempête la plus importante est encore ici. Elle demeure dans notre cœur – dans le cœur des gens de cette terre. Car, laisse- moi te dire une chose, les racines de la haine sont profondes ici. Profondes. Profondes. Profondes.
Nos enfants sombrèrent vite dans la barbarie. Impunément, ils rompirent avec la tradition ancienne et franchirent la ligne frontalière qui sépare l’homme de la bête. L’humanité de l’être humain, ubuntu, s’enfuit. Elle fut grièvement violée. Elle s’ensevelit là où aucun de nous ne la retrouverait aisément.
Mère à Mère est un roman audacieux, déroutant, émouvant. L’Afrique du Sud y est racontée tout en nuances avec complexité et passion. Sindiwe Magona revient à l’héritage de l’apartheid – un système répressif et brutal, qui a engendré une violence inter et intra raciale insensée, ainsi que d’autres événements infâmes.
J’ai eu un peu de mal à entrer dans l’histoire, à m’insérer dans la peau du personnage de la mère et pourtant la narration interne est là pour jouer ce rôle. J’aurais aimé lire l’histoire du point de vue de Mxolisi, j’aurais voulu entendre ses mots. Je pense que le récit aurait été encore plus dense.
Le récit comprend 12 chapitres non linéaires où l’on fait des sauts en arrière. Il n’y a pas mal de mots Xhosa, bon pour la culture générale mais faire des va-et-vient entre les références de pied de page et le texte, peut être fatiguant.
Ce roman est finaliste du Prix les Afriques 2021.