Publié dans Arrêt sur une oeuvre

Les dogues noirs de l’empire : La force noire de Christophe Cassiau-Haurie et Massiré Tounkara

Couverture Les dogues noirs de l'empire : La force noire

Dahomey, août 1914. Bakary, jeune guerrier de l’ethnie Kabyé doit s’engager chez les tirailleurs sénégalais pour éviter que son village ne soit rasé par l’Administration coloniale. Son régiment d’affectation a pour mission d’envahir le Togo voisin, territoire sous protectorat allemand, qu’un simple ruisseau sépare du Dahomey. Les frontières coloniales ne tenant pas toujours compte des réalités locales, Bakary se trouve confronté à son peuple, dont son propre cousin… Cette bande dessinée à la ligne claire évoque cette page méconnue de l’histoire de l’Afrique.

La première guerre mondiale a aussi eu l’Afrique comme terrain de combat. Cette bande-dessinée fait ce rappel historique.

En juin 1910, le général français Charles Mangin, qui dirige les forces militaires dans les colonies africaines, fait un discours maladroit à l’Assemblée Nationale. Il prône la création d’une Force Noire en formant des régiments de tirailleurs africains pris dans les colonies françaises et dit cette phrase très suffisante: « à nous le cerveau, à eux les bras…« 

Quatre ans plus tard, les militaires français et allemands recrutent en masse et en force les jeunes hommes des villages. Ils brûlent les villages qui refusent de livrer leurs hommes.

Deux jeunes kabyé, Bakary et son cousin Babacar, vont être contraints de rejoindre les rangs de l’armée du colon. Les chefs de leurs villages respectifs ont compris qu’il fallait se soumettre à la loi des blancs. Les deux hommes s’engagent… mais hélas chacun dans une armée différente. Les villages de nos deux cousins sont en effet situés dans deux territoires différents : le village de Bakary se trouve au Dahomey (territoire français) et celui de Babacar au Togoland qui est une colonie allemande.

Une famille, deux cousins qui s’affrontent pour l’honneur du colon. Le lecteur est impuissant face à la tragédie qui s’annonce. Terrible de voir toutes ces vies sacrifiées, contraintes de participer à un conflit qui ne les concernaient guère.

Le titre de la bande-dessinée est un clin d’œil à l’un des poèmes de Léoplod Sédar Senghor. Un poème très puissant que j’ai découvert grâce à cette BD. Vous pouvez le lire en entier ICI.

En voici un extrait :

III.

Tue-le Seigneur, car il me faut poursuivre mon chemin, et je veux prier singulièrement pour la France.
Seigneur, parmi les nations blanches, place la France à la droite du Père.
Oh ! je sais bien qu’elle aussi est l’Europe, qu’elle m’a ravi mes enfants comme un brigand du Nord des bœufs, pour engraisser ses terre à cannes et coton, car la sueur nègre est fumier.
Qu’elle aussi a porté la mort et le canon dans mes villages bleus, qu’elle a dressé les miens les uns contre les autres comme des chiens se disputant un os
Qu’elle a traité les résistants de bandits, et craché sur les têtes-aux-vastes-desseins.
Oui, Seigneur, pardonne à la France qui dit bien la voie droite et chemine par les sentiers obliques
Qui m’invite à sa table et me dit d’apporter mon pain, qui me donne de la main droite et de la main gauche enlève la moitié.
Oui Seigneur, pardonne à la France qui hait les occupants et m’impose l’occupation si gravement
Qui ouvre des voies triomphales aux héros et traite ses Sénégalais en mercenaires, faisant d’eux les dogues noirs de l’Empire
Qui est la République et livre les pays aux Grands-Concessionnaires
Et de ma Mésopotamie, de mon Congo, ils ont fait un grand cimetière sous le soleil blanc.

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Frère d’âme de David Diop

Vous rappelez-vous de mon challenge “lire des prix littéraires” ? Je ne vous en tiendrai pas rigueur si vous l’avez oublié, je l’ai vraiment délaissé. Je tente de me rattraper avec le livre du jour qui a reçu le prix Goncourt des lycéens 2018.

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Alfa Ndiaye et Mademba Diop sont de la même classe d’âge. Lorsqu’ils entrent dans leur vingtième année, Mademba désire aller à la guerre. L’école lui a mis dans la tête de sauver la mère patrie, la France.

Mademba voulait devenir un grand quelqu’un à Saint-Louis, un citoyen français :

« Alfa, le monde est vaste, je veux le parcourir. La guerre est une chance de partir de Gandiol. Si Dieu le veut, nous reviendrons sains et saufs. Quand nous serons devenus des citoyens français, nous nous installerons à Saint-Louis. Nous ferons du commerce. »

 

Alfa Ndiaye, son presque frère puisqu’il a grandi avec lui après que sa mère soit partie l’a suivi dans son rêve. Alfa et Mademba deviennent des tirailleurs sénégalais. Sur les champs de bataille, ils découvrent que la France du capitaine Armand a besoin de la sauvagerie des noirs. Elle fait la propagande de cette sauvagerie pour faire peur à l’ennemi.  

 

Comme nous sommes obéissants, moi et les autres, nous jouons les sauvages. Nous tranchons les chairs ennemies, nous estropions, nous décapitons, nous éventrons.

Mais quand je lui souris, je sens qu’il se demande dans sa tête : « Mais qu’est-ce que ce sauvage me veut ? Qu’est-ce qu’il veut faire de moi ? Est-ce qu’il veut me manger ? Est-ce qu’il veut me violer ? » Je suis libre d’imaginer ce que pense l’ennemi d’en face parce que je sais, j’ai compris. En observant les yeux bleus de l’ennemi, je vois souvent la peur panique de la mort, de la sauvagerie, du viol, de l’anthropophagie. Je vois dans ses yeux ce qu’on lui a dit de moi et ce qu’il a cru sans m’avoir rencontré auparavant.

Un matin de la Grande Guerre, le capitaine Armand siffle l’attaque contre l’ennemi allemand. Les soldats s’élancent. Mademba tombe, blessé à mort, sous les yeux d’Alfa. Alfa se retrouve seul dans la folie du grand massacre, sa raison s’enfuit. Il culpabilise, il se détache de tout, y compris de lui-même, il répand sa propre violence au point d’effrayer ses camarades. Le héros de guerre est devenu un fou dangereux, un sauvage sanguinaire.

La rumeur a couru. Elle a couru tout en se déshabillant. Petit à petit, elle est devenue impudique. Bien vêtue au départ, bien décorée au départ, bien costumée, bien médaillée, la rumeur effrontée a fini par courir les fesses à l’air. Je ne l’ai pas remarquée tout de suite, je ne la distinguais pas bien, je ne savais pas ce qu’elle complotait. Tout le monde la voyait courir devant soi, mais personne ne me la décrivait vraiment. Mais j’ai enfin surpris des paroles chuchotées et j’ai su que le bizarre était devenu le fou, puisque le fou était devenu le sorcier. Soldat sorcier.

Son évacuation à l’Arrière est le prélude à une remémoration de son passé en Afrique. On découvre sa famille, la séparation avec sa mère, sa relation avec Fary. J’ai beaucoup apprécié cette partie du récit qui a l’allure d’un conte. Il y a d’ailleurs un conte africain cité en fin de roman.

Ce récit est un monologue, le discours des pensées d’Alfa. Il nous montre les dégâts intérieurs et extérieurs de cette folle guerre, ce que ces tirailleurs sénégalais ont dû endurer sur les champs de bataille et ceux qui ont vécu pour cette guerre.

Pour le capitaine, la vie, c’est la guerre. Le capitaine aime la guerre, comme on aime une femme capricieuse. Le capitaine passe tous ses caprices à la guerre. Il la couvre de cadeaux, il la fournit sans compter en vies de soldats. Le capitaine est un dévoreur d’âmes. Je sais, j’ai compris que le capitaine Armand était un dëmm qui avait besoin de sa femme, la guerre, pour survivre, tout comme elle avait besoin d’un homme comme lui pour être entretenue.

Frère d’âme offre une lecture rapide. David Diop a une plume fluide, caressante. Ma lecture fut intéressante mais pas transcendante.

J’ai eu une incompréhension à la fin : Mademba Diop est-il devenu Alfa Ndiaye ?

L’émission la Grande Librairie m’a donné un élément de réponse.

Un amour interdit Alyssa Cole

Il faut faire attention, quand on se pense libre de penser ce qu’on veut, de ne pas laisser passer en cachette la pensée déguisée des autres, la pensée maquillée du père et de la mère, la pensée grimée du grand-père, la pensée dissimulée du frère ou de la sœur, des amis, voire des ennemis.

 

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