Publié dans Histoires, Vingt-trois

Mystère et boule de gomme

demande en mariage

Vingt-trois – Chapitre 2

Mention de tous les destinataires ? Ok
Objet du mail ? Ok
Contenu complet ? Ok
Case «Demander un avis de lecture» cochée ? Ok

C’est ma dixième vérification du mail, je n’ai rien détecté d’anormal après ma deuxième vérification mais j’aime la perfection, état qui nécessite minutie.
Je veille à ce que mon travail soit impeccable, gage pour obtenir une promesse d’embauche à la fin de ce stage.
Je n’ai pas envie d’expérimenter le stress de la recherche d’emploi et le chômage, j’ai une famille à nourrir !
J’exagère, je n’ai aucun enfant à charge quoique mes quatre petits frères résidant en Côte d’Ivoire me donnent l’impression d’en avoir… Bref ! J’ai des projets de vie : des lieux insolites à explorer, une garde-robe à renouveler, des associations à soutenir qui nécessitent que j’aie une situation financière fixe dans les six prochains mois…

J’ai manqué un appel de Meg, mon téléphone étant en mode silencieux et mon regard rivé sur mon écran. Danie et Solena, mes collègues, ne vont pas tarder à aller prendre une bouffée d’air. Je profiterai de leur absence du bureau que nous partageons à 3 pour discuter tranquillement avec Meg.

– Salut Magué ! Comment tu vas ? Allô ! Allô !

Comprenant la raison du silence à l’autre bout du fil, j’ajoute :

– Tu vas bien, Meg ?
– Il n’y a vraiment pas une autre voie pour me taquiner ? M’adresse-t-elle en soupirant
– Ok, je te promets d’arrêter de t’appeler ainsi…
– Bien !
– Jusqu’au début de l’automne.
– Tu es incorrigible. Soupire-t-elle. Alors, t’as trouvé l’identité de ton futur mari ?
– Ce n’est pas drôle.
– Excuse-moi, je n’ai pas en ma possession un autre moyen pour te taquiner.
– Rancunière, va !
– Tu sais qui t’a envoyé la lettre ?
– Non. Fais-je en lâchant un soupir. Mes connaissances masculines m’ont assuré que cela ne venait pas d’elles. Je ne connais personne à Vernon et le message que j’ai envoyé à l’adresse mentionnée sur la lettre m’a été retourné. Je crois qu’il n’a pas donné son adresse réelle.
– Eh ben, ton futur mari est un farceur !
– Et ses blagues sont de très mauvais goût. Dis-je en manipulant mon stylo. Ecoute, je ne vais pas me prendre la tête avec ça, il y a eu une erreur de destinataire : la lettre était sûrement pour l’ancienne locataire…
– Une ancienne locataire qui a la même identité que toi ? Ne te mens pas ma belle, ce mec te connaît.

Une idée me traverse l’esprit. Et si une femme se cachait derrière ce Sekongo Tiefigué ? Neîma et Méira, mes sœurs de l’église ? Non, elles sont trop spirituelles pour faire ça. Serait-ce alors Euphrasie, Marie-Paule ou Prisca, mes amies de fac ?

– Allô ! A quoi tu penses ?
– Ce sont peut-être mes amies de fac qui me font cette blague. J’investiguerai quand je quitterai le boulot ce soir.
– Tu m’impressionnes, Miss Marple ! Je n’y avais pas pensé. Tu me feras le compte-rendu de tes investigations, ce soir. Tu passes chez moi ?
– Je ne pourrais pas, ma belle. J’ai un afterwork avec mes collègues et je suis chargée du petit-déj demain ! Je vais préparer des cakes au citron.
– Des ? Eh ben, t’es une collègue dévouée !
– Mes collègues sont des ogres. En parlant d’elles, elles ne vont pas tarder à revenir. On se rappelle ce soir.
– Ok, j’espère qu’ils t’embaucheront ou te feront une belle recommandation.

– Espère !

***

Yona s’est gentiment proposée pour me raccompagner après notre afterwork. Je referme la porte de ma résidence et là, je lâche un cri. Mes mains tremblent, mes lèvres suivent le mouvement. Il est là…
Me suit-il ou est-ce moi qui suis toujours à sa recherche?
Il a toujours ce sourire empreint de tristesse et d’impuissance. Je le supplie de me laisser tranquille. Qu’il me permette de passer définitivement à autre chose ! Ma porte fermée à double tour, je me laisse glisser contre elle. C’est encore trop frais pour oublier, trop frais…
J’inspire longuement avant de rejoindre mon espace cuisine. Cuisiner apaisera mes tourments.

***

J’ai passé mon après-midi au cinéma en compagnie de Marie-Paule mais tout ce que je trouve à faire en rentrant chez moi c’est regarder un film nigérian sur YouTube: « A piece of Flesh ».
Des larmes tracent des sillons sur mes joues au moment où le fils succombe à sa maladie et qu’on l’annonce à la famille. Le sacrifice d’Ifeoma n’a servi à rien !

Mon regard quitte mon écran d’ordinateur, fixe ma porte ; on vient de presser ma sonnette. Un deuxième coup retentit.
Qui a tant envie de me voir ? M’interrogé-je intérieurement en me dirigeant vers la porte.

Mon rythme cardiaque s’accélère quand j’entends : Samuel.

Samuel, l’ami de Dan ?! Que fait-il chez moi ?

– Euh, tu n’acceptes pas de visites imprévues, j’ai l’impression. Désolé, je n’avais pas ton numéro. Enfin, je l’ai demandé à Meg mais je voulais te faire une surprise.

« Karlise, il est toujours derrière la porte ! Ouvre donc ! » M’exclamé-je intérieurement.

Polo – Jean – Tennis c’est ainsi vêtu qu’il se présente à moi. J’ai l’impression d’être propulsé dans un nuage de douceur quand il me dévoile son charmant sourire.
Et son regard est hypnotisant, l’expression fulgurante de ces beautés viriles et brutes qui remportent le suffrage universel…

– Ça fait plaisir de te revoir.
– Plaisir partagé. Entre, fais comme chez toi.

Il prend place sur mon canapé-lit pendant que je sors des rafraîchissements de mon mini-frigo.

– J’aurais fait un cake si tu m’avais informé de ta visite.
– Je tenais à te faire une surprise, tu es contrariée ?
– Absolument pas. Dis-je en souriant aimablement.
– Ton studio est coquet. Affirme-t-il en laissant son regard traîner sur les objets décoratifs de mon coin cuisine, mes luminaires et le sticker trompe l’œil collé sur ma porte d’entrée
– Merci.

Un ange passe. Le silence transporte son odeur prononcée très profonde, une odeur qu’on ne peut oublier tellement elle est intense et magnétique.

– Alors quel bon vent t’amène ? Dis-je pour ne pas me noyer davantage dans son effluve
– Je n’ai toujours pas eu de réponse. Fait-il en clignant de l’œil droit
– Euh… On a eu des questions en suspens à l’anniversaire de Meg et Dan ?

La façon qu’il a d’appuyer son regard sur moi m’embarrasse mais je n’ose lui dire de peur qu’il sache l’effet qu’il a sur moi.

Il avale une poignée de cacahuètes salées avant de dire :
– Non, je parle de l’accusé de réception que tu as reçu il y a un mois.
– L’accu… Non, ce n’est pas toi. Dis-je en ouvrant grand les yeux. Ne me dis pas que…

Il sourit.

– J’aime beaucoup les notes de ton parfum.
– La vie est belle de Lancôme. Attends, ajouté-je en remuant la tête. Ne change pas de sujet. Tu rigoles, n’est-ce pas ? Ce n’est pas toi, Sekongo Tiefigué.
– C’est mon patronyme et mon prénom Senoufo* que Meg ne connaît pas bien entendu.

Un rire soulève ma poitrine. Je suis totalement abasourdie.

– J’ai un tempérament joueur raison pour laquelle j’ai pensé à t’envoyer cette lettre. J’ai utilisé l’adresse d’un ami à Vernon pour brouiller les pistes. Fait-il en souriant
– Ce n’était pas drôle. Réponds-je légèrement énervée. J’ai passé des heures inutiles à réfléchir à qui ça pourrait être, j’ai même soupçonné mes amies de fac.
– Désolé. C’est la faute à mon tempérament joueur. Je ne le referai plus. Suis-je excusé ?
– Oui. Déclaré-je en lui rendant son charmant sourire. Tu es un beau farceur, merci pour la fausse demande de mariage.
– Euh… La demande n’était pas une farce. Je veux vraiment t’épouser.

Mon sourire s’éteint. Il pose son verre de Sprite et me regarde. Je détourne mon regard afin de pouvoir mieux réfléchir aux phrases que je vais énoncer dans les prochaines minutes.

– Comment tu peux vouloir m’épouser, Samuel ? On ne se connaît pas !
– Nous avons le temps pour nous connaître sauf si tu veux qu’on se marie le samedi prochain. Dit-il en me prenant les mains. Est-ce que tu as fixé une année pour ton mariage ?

Je le regarde, interdite. Sait-il de quoi il parle ?

– Ne me regarde pas comme si j’avais bu. Je ne suis pas en train de délirer.

Comme je n’ajoute rien, il met un genou à terre et sort un écrin de sa poche.

– Karlise Tié, veux-tu être l’unique objet de mes pensées, l’épaule sur laquelle je me reposerai quand je serai las des responsabilités qui incombent à l’homme ?

Mes yeux fixent un instant le solitaire qui scintille avant de se poser sur le visage de Samuel.

– Pourquoi moi ?
– Parce qu’il ne peut pas en avoir une autre. Je peux te passer la bague au doigt ?

Ses mots sont un murmure, une caresse. Karlise, il veut t’embobiner, ne chavire pas !

– C’est nécessaire pour que tu remportes le défi, n’est-ce pas ?
– Défi ? Fait-il en écarquillant les yeux. De quoi tu parles ?
– La demande en mariage c’est bien un défi lancé par tes potes, n’est-ce pas ?
– Personne ne m’a poussé à te faire cette demande. Soupire-t-il. Karlise, sans vouloir me vanter, je suis un homme sérieux. Le mariage est une institution que je respecte. J’ai 27 ans, j’ai connu bon nombre de femmes et à aucune d’elle je n’ai proposé de m’épouser parce que je ne me voyais pas passer le reste de mes années de vie avec elles.
– Je vois… Mmh… Tu le fais par bonté alors. Tu sais que je vais bientôt être diplômée, je serai en recherche d’emploi. Tu veux me donner un statut marital qui me permettra de rester en France.
– Oh là là, tu en as de l’imagination. Rit-il. Je le répète : le mariage est une institution que je respecte, ma demande n’est pas calculée.
– C’est impossible que ça vienne de ton cœur. On ne se connaît pas.
– Ok.

Il se lève, range l’écrin dans sa poche, reprend sa place à mes côtés.

– Désolée de te frustrer mais je ne peux pas. Je ne peux pas épouser un homme que je ne connais pas, Samuel.
– Tu as prévu quelque chose ce soir ? Ne fais pas cette tête, je ne vais pas t’emmener de force devant le prêtre.
– Le pasteur. Je suis protestante.
– Ah, je comprends mieux. Ça te dérange de te marier avec un catholique.
– Pas du tout ! J’ignorais que tu étais catholique. Ecoute, je n’accepte pas ta proposition parce que je ne sais pas qui tu es.
– Apprenons à nous connaître alors, passons plus de temps ensemble.
– Samuel, ça devient de l’acharnement. Fais-je lasse
– Non, c’est de la détermination. Tu es la femme qui doit porter mon nom. Affirme-t-il la mine sérieuse
– Tes parents ont une dette envers les miens ou quoi ?

Mon rire est communicatif. Quand nous retrouvons notre sérieux, il m’annonce qu’il a réservé une table pour deux à «Des Ronds dans l’eau», une crêperie péniche à côté de l’île de Versailles.

– Tu m’ouvres les portes de ton dressing ? Je vais choisir ce que tu vas mettre.

Décidément, cet homme ne finira pas de m’étonner.

– Je t’ai entendue… Me lance-t-il l’air amusé.

Zut ! J’ai parlé à haute voix.

– Pourquoi choisir ma tenue? Tu commences vraiment à me faire peur, là ! Je crois que je vais rester chez moi.
– Je rigolais. Je voulais juste voir apparaître encore une fois la stupeur dans tes yeux. Me lance-t-il en souriant. Tu sais que ton visage se déforme quand tu es étonnée ? Tu fais une tête de …
– C’est bon. On peut y aller ? Tu as réservé pour 20h30, non ?

***

Je suis complètement sous le charme quand nous faisons notre entrée dans cette crêperie flottante. Le décor coquet et sobre crée une envie d’évasion, un désir de voguer vers l’inconnu.
Voguer vers l’inconnu… N’est-ce pas ce que je suis en train de faire en ayant décidé de suivre Samuel ?

– Ça te plaît ? Meg et Dan y viennent souvent dîner en amoureux. M’annonce Samuel quand nous prenons place à notre table dressée au fond de la salle

J’opine de la tête, jette un regard aux autres occupants de l’établissement. Un duo se regarde amoureusement, un quatuor discute politique. Un enfant occu…

– Tu préférerais être avec eux plutôt qu’avec moi, j’ai l’impression.
– J’aime ta compagnie. Dis-je en le regardant droit dans les yeux

Une phrase, rien qu’une seule… une barrière, un pont qui cède… une limite entre un avant et un après.

Avant d’entamer le plat de résistance, j’ai de plus amples informations sur son parcours secondaire et supérieur, son poste d’agent immobilier et son désir de bâtir un puissant empire dans l’immobilier quand il rentrera pour de bon en Côte d’Ivoire, ses passions que sont la batterie et le basket-ball.
A la fin de notre copieuse crêpe au caramel et beurre salé, je sais qu’il est le benjamin d’une fratrie de 3 enfants, qu’il aimerait avoir un enfant mais pas avant les 3 premières années de son mariage. Il voudrait que sa lune de miel dure 3 ans.
Il n’a pas été le seul à parler de lui. J’en ai fait de même, lui ai confié ma phobie des chats, mes intérêts professionnels et personnels, mon envie de visiter le Brésil et l’Ethiopie.

Nous avons été volubiles pendant toute la soirée mais silencieux lors de notre marche aux bords de l’Erdre après avoir quitté le restaurant. Silencieux en apparence car je sais que nos pensées s’agitent enfin c’est mon cas.

« Qu’attends-tu de moi ? » C’est la question que je lui pose au moment où nous rejoignons l’habitacle de sa voiture.

– Que tu acceptes d’être ma femme.
– Comment tu peux vouloir épouser une femme juste après votre première rencontre ? Coup de foudre, coup de cœur, coup de tête ? Je veux comprendre, j’ai besoin de comprendre.
– Coup de cœur et d’esprit. Me répond-il en se tournant vers moi. Je t’ai vue et j’ai tout de suite reconnu ma femme comme Adam a reconnu Eve. Ecoute Karlise, je comprends que mon attitude te désarçonne mais crois-moi je n’ai aucune intention fausse envers toi. Prends le temps qu’il faut pour m’étudier, m’analyser et si après tout ça tu es convaincue que je ne suis pas l’homme avec qui tu voudrais passer le reste de ta vie, je respecterai ton choix mais sache que tu feras de moi un célibataire endurci parce que je n’épouserai aucune femme à part toi. La Providence m’en est témoin.

Il a réussi ! Il a touché ma côte sensible. Il a délicatement ouvert les portes de mon cœur et se dirige vers le point stratégique. Il m’est impossible d’ignorer ses mots empreints de finesse.

– Ça marche. Je t’accorde la permission de m’appeler régulièrement et de passer les week-ends à Nantes avec moi.
– Super !
– Avec moi mais pas dans mon lit. Soyons clairs. Ajouté-je sur un ton ferme. Je ne couche pas avant le mariage.
– Ça ne me fera pas fuir, Karlise. Je te veux avec tes convictions, tes valeurs, tes limites.

Il me veut…

Le trajet retour est ponctué d’anecdotes familiales et blagues à deux balles de tout genre. Mon cœur martèle ma poitrine quand il me raccompagne jusqu’à ma porte. Comment nous dirons-nous au revoir ? Bise légère sur la joue ou osera-t-il m’embrasser ?

Aucune de ces alternatives. Il me souhaite une excellente nuit avant de me serrer dans ses bras. Je ferme les yeux pour profiter entièrement de cette étreinte chaleureuse. J’ai envie qu’elle dure, je veux me délecter à outrance de ce plaisir : être dans les bras d’un homme avec une carrure d’athlète.
Une bise sur le front et il me quitte. En me laissant tomber sur mon canapé-lit, je n’ai qu’une envie : être à demain.

L’enthousiasme tombe au bout de quelques minutes, l’inquiétude monte. Pourquoi ce jeune homme veut m’épouser ?

Il n’est pas laid et je ne le suis pas non plus,

Il est issu d’une famille moyenne comme moi,

Je suis brillante mais je ne suis pas la seule femme noire en France à l’être.

Lit-il dans l’avenir ? A-t–il perçu que je deviendrai une référence dans le domaine du droit du travail ? Veut-il s’enorgueillir du fait d’être mon époux ?Je fixe le plafond comme si je peux y déchiffrer les réponses à mes questions.

J’ai le sentiment que sa demande cache quelque chose mais quoi ?
Je lâche un soupir d’effroi. Je crois savoir ce que cache cette subite demande en mariage…

*Senoufo : langue vernaculaire de la Côte d’Ivoire

© Grâce Minlibé – Tous droits réservés
Reproduction interdite sans autorisation de l’auteure